HÉSITER À OSER

[Carnet de voyage 36/52 de l'année]

Voyager c'est aussi hésiter. 
Après une nuit trop moite pour être reposante, la décision reste à prendre. Retourner dans le Yucatán ou se rendre à San Cristóbal de Las Casas en passant par le Chiapas.
Les rumeurs ne sont pas très engageantes.
Les bus traversent par paire la forêt à cheval sur les deux états pour éviter de se faire dépouiller par les gangs armés en chemin. À deux, avec notre Fiat Panda et dotés d'un espagnol très basique, est-ce une bonne idée? 

De l'autre côté de la jungle, il paraît que l'on trouve des villages fabuleux, des indiens en habits de couleur, des aventures et des sorts jetés dans des huttes avec du sang de poule.
Sur le moment, cette description semble être l'essence même du monde.
Il faut y aller.


Mais la peur plie l'envie, tord le cou aux souhaits. Partout où l'image du village magique se pose, les ombres de la jungle viennent l'effacer. Le village devient flou, peu à peu inaccessible, disparu.
La peur gagne du terrain jusqu'à remporter la manche.
Demi-tour.

Sur la route du renoncement ce jour-là, la lâcheté traîne son poids mort et sème des embûches de regret.
D’abord ce chien, chien enragé qui fait des aller-retours sur l'autoroute. Éviter son corps jaune, éviter l’impact - mains agrippées au volant, envolée du poignet, il a survécu. Mais depuis le rétroviseur, miroir de la scène qui se déroule à l'arrière, le film imposé de son jeu avec la faucheuse défile. La voiture suivante écrase la bête folle. 
(Dans le choc de ma mémoire, ne reste de l'image de l'impact que la voiture perdant sa plaque d'immatriculation avec le choc, pas du corps sous les roues. Oubli salvateur.)

Sur la route du renoncement, il y a ensuite ce pont trop étroit au-dessus d'un précipice que les arbres peuplent dans le tréfonds de la terre. La vue est belle d’en haut, large de vie. Et puis soudain la vue se réduit à ce mur qui s’approche, mur mouvant. Un camion est lancé à toute allure sur le pont trop étroit. Face à face avec le mastodonte tonitruant. Je ferme les yeux. De justesse, notre voiture-insecte se réfugie dans le dernier encart sur le bord de la route, juste à temps pour sentir trembler sa carcasse trop fine au passage du camion fou. 

La route du renoncement est pleine d'embuscades et de peurs matérialisées. C'est une route de dépit et de coeur tremblé. Elle est peut-être pire que la route tant redoutée de la jungle gardée d’hommes armés. On ne sait pas cela. On ne saura jamais.

On sait simplement que la route du renoncement se termine elle aussi au fond de la jungle, sur une des pyramides mayas de la réserve de Calakmul. Au-dessus de la canopée, le regard court jusqu'au Belize et au Panama. Alors le village incessible est remplacé par des rêveries à hauteur d'ailes et les peurs se perdent sur les cimes. 
Peut-être faudrait-il toujours oser?

 🌟Ce texte est inspiré d’un voyage au Mexique au début de l’année 2015. Il s'inscrit dans le projet annuel "Carnet de voyage" : en 2018, je partage toutes les semaine un texte sur le thème du voyage sur ma page Facebook et le blog.

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