Avant la frontière
[Carnet de voyage 35/52 de l'année]
Certaines idées semblent bonnes jusqu'à ce qu'on les mette en pratique. Rouler jusqu'à la frontière russe pour la regarder, de loin, nous enthousiasmait depuis qu'on l'avait décidé. Nous avions choisi la route du nord, pour voir. Arrivés à la bifurcation, à l'endroit où il aurait fallu tourner à droite, on s'est dit avec un regard farceur : autant aller au bout. Il ne restait plus que dix kilomètres avant la frontière, un trajet de rien du tout. Le plan était simple : on irait jusqu’à la ville frontalière, on regarderait, on ferait demi-tour.
Depuis la sortie de Elbląg sur la route 22, on croisait plus de caméras de sécurité que de voitures. Venues du nord, les plaques des véhicules étaient immatriculées à la russe. Plus de petit drapeau européen dans son encart bleu roi. Plus que du blanc. Sans bleu et sans étoiles. Sur la route, nous étions les seuls français.
Plus on s'approchait, plus le GPS révélait finement les alentours. A y regarder de plus près, il semblait que la ville frontalière dans laquelle nous voulions nous arrêter était à côté de la route, pas sur elle. Il semblait aussi qu'il y avait un dernier carrefour à quelques centaines de mètres, là où la flèche bleue clignotante sur l’écran nous invitait à faire demi-tour. Nous avancions mais la bifurcation, notre dernière porte de sortie, ne se montrait pas. A la place, il y eu d'abord un grillage entre nous et les prés de part et d'autre du bitume, puis notre route se sépara en trois voies distinctes, une pour les voitures, une pour les camions et une pour les camping-cars.
Devant nous, à cinquante mètres, le poste frontière.
Il n'y avait pas eu de carrefour ni de ville frontalière. Un ensemble de bâtiments entourant et surplombant la route nous faisant face, accompagné de barrières et de caméras. La bonne idée du matin nous apparaissait alors complètement stupide.
Je me voyais déjà face aux douaniers russes en train de leur expliquer que l'on voulait seulement voir la frontière. Raison légitime ou suspecte ? Peut-on rigoler avec les douaniers ? Comment fait-on demi-tour à la frontière entre deux pays ?
Pour me donner une contenance, je pris en main la carte papier, prête à raconter à la force de mes mains qu'on avait loupé la dernière sortie. En roulant lentement vers la barrière rouge, le silence était lourd dans l'habitacle quand, à dix mètres de la frontière, nous vîmes un encart dans la barrière centrale de la route. Un coup de volant et on s'engouffrait dans la brèche. Demi-tour en accéléré. On regardait dans les rétros les imposants bâtiments frontaliers s'éloigner. On passait en souriant le grand panneau nous annonçant en russe l'entrée dans l'union européenne.
Ça fait du bien d'être chez soi.
🌟Ce texte est inspiré dun voyage en Pologne à l'été 2018. Il s'inscrit dans le projet annuel "Carnet de voyage" : en 2018, je partage toutes les semaine un texte sur le thème du voyage sur ma page Facebook et le blog.
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