L’alcool omniscient


Un verre seulement. Et avec la chaleur, le reste.
Foire d’été. Contre-courant dans la foule.
Vin dans les veines, sortie de moi-même, plus de limite au corps, plongée dans le flux.
Sensations.
Je vois plus loin. De mes yeux. A leurs yeux.
Je ne vois plus que ça.
Des yeux. Plus que des yeux.
La seconde d’accroche s’allonge en années et je lis en dedans.

Petits, globuleux, luisants sur le globe, elle vient de la plage, la journée étalée sur le sable, elle rêvait de couchers de soleil sur la mer, l’ouest est sur les montagnes; Bleus, transparents, entourés d’un blanc injecté de rouge, des cigarettes sur le stress de la monotonie, la joie quand il serre fort une châtaigne des Cévennes à l’automne, envie de boire un peu plus, oublier qu’il est veuf, que les châtaignes il les ramasse tout seul; Du soleil répandu sur la tempe, remonte jusqu’à la pupille, une pupille qui rit, se marre à gorge déployée, une pupille qui blague, toujours le bon mot; Noir flou, la petite se perd comme moi, trop à voir, à découvrir, des stands, des odeurs, des bruits, des cris et là, tout au bout de l’allée, de la musique, des guitares et des femmes dans des robes à volants, noir flou, déboussolé, on n’attrape pas le mouvement, première grande révélation; …

Le vin a continué son chemin, du cœur aux membres, aux organes, aux neurones, voilà qu'apparaissent les visages! Alors je n’en finis plus d’omniscience.

Ce nez aux narines asymétriques, l’air qui te manque quand tu te lèves le matin, quand tu pars pour le chèque qui vous nourrit tous les cinq; Cette bouche, un coin tombant, l’autre vers le haut, choix du jour, balancier de ton esprit; Cette ride dans ta joue gauche, là où ta fille posait son bisou le matin, là où la grande dame a posé sa fourche; Ce front droit et nu jusqu’à la nuque, plus de jeunesse, plus de cheveux, encore un qui pousse, affront, tu l’enlèves à la pince à épiler en même temps que tes poils de nez, hantise des néons, leur loyauté au temps; Cette paupière boursoufflée, l’amour qui passe par les papilles, de l’amour plein le ventre débordant sur ta vue; Cette oreille longue, profil de Buddha, et dessus un grain de beauté épais, on va le couper bientôt, peur de prendre ta vie en même temps que lui, l’âge adulte après l’enfance, et tu connais le poids de ces deuils; Ces joues creusées; Cette cicatrice au coin de l’œil; Ces sourcils épais; Ces autres en pleine repousse; Ces dents jaunies; Cette canine pointue; Ces yeux vairons; Cette moustache entretenue; Ces taches de rousseur; …

J’écoute.
La foule raconte.
Un verre seulement. Et avec la chaleur, le reste.
Foire d’été. Contre-courant dans la foule.
Et mon esprit tout emmêlé.

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