LA DEMANDE [INDE]
[Carnet de voyage 21/52 de l'année]
ils sont attroupés, queue-leu-leu jusque sur le trottoir, leurs corps sont serrés, leurs peaux se touchent, leurs vêtements de couleur vive se confondent, des tissus fins et larges et brillants
il (qui ? le temps délave l’inutile) m’emmène vers eux, me fraie un passage jusque dans cette foule compacte
ma peau tranche contre leurs peaux sombres, mon shalwar kameez fusionne avec les leurs
nous passons une porte
parmi eux, à travers eux
puis une deuxième
dans la salle au mur bleu pâle, au plafond blanc, au carrelage crème, la foule s’aère
tous sont collés contre les murs pour faire le plus d’espace possible, pour être là, tout près et disparaître presque
personne ne remarque rien, tous ne voient qu’elle
il me la montre du doigt
elle est installée au centre de la pièce sur un fauteuil décoré de coussins
dans toute la salle il n’y a plus qu’elle
son corps large occupe l’espace – ou est-ce autre chose ?
ses longs cheveux noirs tombent sur ses épaules
son regard sur nous
une à une, des personnes se détachent du mur et marchent vers elle
silence
tu veux lui demander quelque chose ? you want to ask her something ? il me questionne
you can ask her everything you want, tu peux tout lui demander
il est heureux, souriant, confiant
she answers everything, elle répond à tout
il me prend soudain le bras
me dirige vers elle, me traîne le long des quelques pas qui nous séparent d’elle
en anglais il me répète en chuchotant, you can ask her everything you want, tu peux tout lui demander
je ne sais pas où je suis, qui elle est, de quoi il s’agit, tout va trop vite
je suis devant elle
what do you want to ask ?
qu’est-ce que je veux demander ?
il attend, prêt à traduire
prise de cours, je n’ai rien à dire
don’t look in her eyes, ne la regarde pas dans les yeux
bend, bend, baisse-toi, baisse-toi
je fais un semblant de révérence, la tête confuse, baissée, quand la femme sur son fauteuil ouvre grand ses bras et me serre contre son cœur
un instant pour toujours, je suis dans les bras d’une mère
soudain, il me reprend le bras, walk back walk back, don’t turn, don’t look, et je marche à reculons, sans regarder tout à fait cette femme qui avait réponse à tout, et à qui je n’ai rien su demander
🌟Ce texte est inspiré d'un souvenir de voyage en Inde à l'été 2004. Il s'inscrit dans le projet annuel "Carnet de voyage" : en 2018, je partage toutes les semaine un texte sur le thème du voyage sur ma page Facebook et le blog.
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