C'est arrivé deux fois
C'est arrivé deux fois. La première à Thessalonique, la seconde à Téhéran. Ça a commencé dans le ventre, coeur des émotions, et puis ça a atteint la tête en remontant le corps comme une vague.
C'est arrivé sans que je l'attende, sans même que je sache poser des mots dessus.
Comment dire véritablement une émotion? Une sensation? Sauf peut-être à la décomposer, à la découper en petits tronçons de ce qui la constitue.
A Thessalonique j'étais dans une voiture, en contrebas le soleil caressait la mer violemment. Nous étions en décembre - un hiver plus beau que les meilleurs étés du nord.
Nous étions trois. Lui, lui et moi. J'étais assise à l'arrière. On montait sur une colline, ou on en descendait peut-être. Ma tête entre leurs visages, nos paroles se répercutaient dans l'habitacle.
C'est là que ça s'est passé.
Soudainement.
La seconde c'était à Téhéran, dans sa chambre. J'étais couchée sur la moquette, au pied de son lit. Elle dormait encore. Le soleil avait depuis longtemps fini de révéler les contours des choses pour leur rendre leur forme et leur couleur. Il pointait ses longs doigts jusqu'à moi, allongée sur ce sol, et me berçait le front. La chambre était silence et chaleur. J'étais seule avec les rêves de ma nouvelle amie et cette puissante berceuse solaire.
Et c'est arrivé.
Une seconde fois.
A chaque fois pareil. Ça vient des tripes et ça se propage, et ça grandit, et ça monte, et ça se diffuse, et ça m'enveloppe.
Une sensation issue d'une émotion elle-même découlant d'une certitude.
C'est l'ici et le maintenant.
Être.
Ici.
Maintenant.
Savoir que tout est juste, que tout est à sa place, que je suis au bon endroit, au bon moment.
C'est une sensation au-delà du bien-être ou de la joie. C'est un apaisement. C'est une caresse du vent.
Ça vient au détour d'un instant, d'un clignement d'éternité. Ça dure le temps de quelques respirations. Puis ça s'évanouit d'où c'est venu.
La première fois c'est arrivé après 4 mois de voyage, perdue à moi-même dans la recherche de qui j'étais - à 19 ans on n'est pas encore tout à fait, on naît à soi en dehors des carcans qui nous ont fait grandir.
La deuxième fois c'était à la fin du voyage, au 7e mois. Au bout du dernier pas, de la dernière main tendue en confiance vers l'Autre que je voulais rencontrer: derrière la frontière iranienne.
Par deux fois, j'ai la sensation d'avoir entraperçu ce que la vie devait être, ce que la vie, quelque part, était, et que seul le voyage a le pouvoir de révéler.
Ça me donne envie de repartir...
🌟Ce texte est inspiré d'un voyage en solitaire de 7 mois en 2005-2006. Il s'inscrit dans le projet annuel "Carnet de voyage" : en 2018, je partage toutes les semaine un texte de voyage sur ma page Facebook.
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