Il ne faudrait pas s'attacher aux objets. Je le sais, et puis c'est bien connu.
La philisophie bouddhiste le prône, l'hindouiste aussi sûrement, la sagesse populaire le rappelle, même le bon sens.
Il ne faudrait pas s'attacher aux objets.
Mais est-ce si simple?
C'est un sac bleu et noir, sans forme, épais en son centre, comme ventru, affaissé. Les anses pour le porter sur le dos sont d'une ancienne facture, avec moins d'aération que les modèles plus récents. La forme surtout ne se fait plus. Aujourd'hui on les construit plus hauts, plus longs, une question de répartition du poids sur les hanches je crois.
C'est un sac moche, et sale. Il n'a jamais été lavé - lave-t-on les sacs d'ailleurs?
C'est un sac vieux de 18 ans, rafistolé sur le dessus à l'aide d'un fil noir et épais. Les fermetures éclair de ses poches ne s'ouvrent depuis longtemps plus que d'un côté. A la ceinture, une pochette contient une protection de pluie dont le plastique est si ancien qu'il n'est peut-être plus entier, une autre des vieux mouchoirs - on a toujours besoin d'un vieux mouchoir en voyage, pour y essuyer des doigts pleins de suie, une saleté récalcitrante sur une chaussure, saisir un petit quelque chose sur lequel on ne veut pas mettre les doigts.
Je tiens à ce sac. Avec une affection et une tendresse toute particulière. Ce n'est pas tant à l'objet que je suis attachée, c'est aux souvenirs qu'il porte en lui, c'est à l'histoire qu'il raconte, qu'il me raconte, me chuchote à moi seule je crois - l'entendez-vous, vous?
Il me chante mes premières aventures, le premier stop, et les suivants, il me conte les nuits à la belle étoile, les longs voyages en bus, le vent sur son tissu à dos de car indien, il me murmure ses attentes dans des recoins ou des caves de restaurants pendant mes randonnées, les soutes des avions et des bateaux, les fouilles aux frontières, me dépeint les paysages des nuits en camping sauvage, notre contact, peau à peau sous les soleils brûlants et les orages énervés, me rappelle toutes les rencontres - bonjour, bonjour, je peux t'aider avec ton sac?, non merci ça va aller -, il me murmure le poids des livres voyageurs, des lettres récupérées aux postes restantes, me remémore les fois où il jouait l'oreiller sur les plages, le siège dans les halls, me chantonne les mélodies de soirées au bord de feu, la solitude des montagnes, les promesses sur les quais de gare et celles des mains agitées au bord des routes.
Ce sac, finalement, est un très vieil ami.
Il peut être inconfortable et parfois gênant mais je le connais pas coeur et je sais qu'on aura toujours des choses à se raconter.
Ce sac est bien plus qu'un objet.
Et j'y suis attachée.
🌟Ce texte est inspiré de souvenirs de voyage. Il s'inscrit dans le projet annuel "Carnet de voyage" : en 2018, je partage toutes les semaine un texte sur le thème du voyage sur ma page Facebook.
🌟 Pour être sûr.e de recevoir les prochains posts, les coups de coeur littéraires et autres surprises: abonne-toi à la Magie des mots: http://eepurl.com/cQLfKP
Tu recevras une fois par semaine une surprise dans ta boite mail