au bout de la terre habitée
[Costa Rica]
nous sommes arrivés au bout de la terre habitée.
un 4x4 nous a menés là, nous a transportés dans sa remorque à ciel ouvert, le cul trampoling sur une planche de bois dur, les yeux sur la canopée, tout là-haut, le regard béat face à ces envols d’oiseaux exotiques.
pas de route goudronnée, que du sable plein d’eau à chaque trou, le 4x4 qui réaccélère dans les montées pour ne pas rester embourbé.
parfois il faut retenir les sacs à nos pieds avec la jambe, avec la main. les empêcher de s’envoler. j’ai mal aux genoux de sauter aussi haut à chaque bosse sur lesquelles les roues buttent. j’ai l’impression que je pourrais attraper un oiseau. ma main ne s’ouvre pas pourtant, agrippée comme je peux à la barre de fer qui permettrait de tirer une bâche sur la remorque.
après deux heures, ou trois, je ne sais plus, le 4x4 enfin s’arrête.
ici il n’y a plus de route. il n’y a plus de chemin.
nous sommes arrivés au bout de la terre habitée.
seulement une bicoque en bois de palmier et quelques chaises en plastique enfoncées dans le sable.
bientôt il fera nuit. on peut commencer à marcher, s’avancer autant qu’on peut avant demain.
alors avant que le jour ne s’éteigne, on a marché sur la plage, le long de l’océan Pacifique. oh qu’il est beau cet océan, qu’il est vivant, à chacune de ses respirations une caresse sur le sable. et ce sable justement, fin, couleur tournesol, tenu en étau par l’océan bleu profond d’un côté et les palmiers de l’autre.
on aurait envie de faire comme sur les photos : d’étendre une serviette et d’entrer dans l’eau. mais on n’y pense même pas. infesté de requins, le bel océan. trop chaud le sable. les gens d’ici ne se baignent pas. nous on va faire comme eux.
on avance vers la nuit sur cette langue de terre ocre et quand le noir tombe, on monte la tente. on ne restera pas à découvert, à marcher le long de cette forêt vierge. ici il y a des animaux qu’on aime bien voir de loin ou dans des cages. des jaguars, des singes, des boas constricteurs et autres serpents, de la sorte que, si on les croise, la faute à pas de chance!, on ne verrait plus jamais l’océan.
dans la tente, pas de sommeil, à cause de la chaleur. quelle idée de venir ici avec la tente alpine ! la petite pour garder l’air chaud quand il fait froid !
et puis la forêt parle, parle fort même. ça rampe, ça grimpe, ça crie, ça chante, ça vit et ça meurt comme ça respire là-dedans, là tout contre nous, à quelques mètres à peine derrière la toile fine.
on s’est réveillés – si tant est qu’on avait dormi – à cause de la puissance du soleil. il devait être cinq heures. la lumière était la même qu’en plein jour.
fatigue du corps et de l’esprit - embourbée par le manque de sommeil je me suis levée avec l’humeur d’une mauvaise nuit, je suis sortie de la tente, j’ai regardé devant moi, et j’ai aimé la vie.
plus de fatigue, plus d’humeur.
les yeux plein du monde.
on a rangé la tente. on a repris notre marche. vingt-cinq kilomètres à faire dans la journée. et surtout arriver le plus tôt possible au delta, avant que la marée ne soit trop haute, avant que les crocodiles marins ne remontent la rivière qu’il faudra passer à pied.
mais bien avant le delta, avant qu’on ne bifurque vraiment dans la forêt vierge, avant qu’on ne s’enfonce sous la canopée majestueuse, à regarder les singes s’accrocher de branche en branche, les papillons grands comme des mains et les racines vivantes des grands arbres, on a longé encore un temps l’océan.
c’est de ce moment dont je me rappelle.
le sac sur le dos, la nourriture et l’eau pour trois jours pesant sur les épaules.
la chaleur déjà trop forte, un paréo posé sur la tête qui descendait jusqu’à mes mollets.
le bleu de l’océan, le vert des palmiers, le jaune du sable.
et soudain, apparus comme seuls savent le faire les rêves, les mirages et les miracles, un vol d'aras rouges sur le ciel immaculé.
il n’y a pas de photos de ces instants de voyage.
il y a bien plus.
des souvenirs secrets où l’on peut retourner.
d'ailleurs je crois qu’une part de moi est toujours là-bas, sur la plage du parc national du Corcovado, tout au sud du Costa Rica, à regarder pour toujours s’envoler les aras rouges sur un éternel été.
Voyage au Costa Rica, décembre 2012
🌟 Pour être sûr.e de recevoir les prochains posts, les coups de coeur littéraires et autres surprises: abonne-toi à la Magie des mots: http://eepurl.com/cQLfKP
Tu recevras une fois par semaine une surprise dans ta boite mail