Au Jardin de la Reine
Ils chuchotent
frisson de feuilles
frôlements du lierre sur le tronc du chêne
Arbres secrets, silencieux
Cinquante ans dans un sous-bois fermé
pas d'humains de passage
les chemins recouverts de feuilles
puis d'humus
puis de plantes
puis d'arbres
Pas d'isolement véritable
mais
plus de passage
Que les voitures
et les voix
de l'autre côté du muret
Les nuits de silence
les dimanches aussi
Oiseaux rongeurs et quelques chats
(il y a toujours des chats là où la vie semble se taire)
Seul un homme ami
le détenteur de la clé
Qui près de l'entrée avait défriché un carré
légumes: salades tomates choux potirons
et sûrement quelques fraises
Les arbres en 50 ans n'ont connu qu'un seul homme
que cet homme-là
Noces d'or
Jusqu'à ce qu'une administration se souvienne
qu'elle possédait un jardin
saisisse la clé
et veuille le vendre
(Riverains révoltés!)
Aujourd'hui il y passe des gens
en fin de semaine surtout
Qui s'exclament, les yeux rivés sur la canopée
n'avoir rien vu
depuis toujours pas su
Tremblants de curiosité portée par le vent
les arbres réapprennent
ce qu'est l'humanité
Au centre des allées feuillues
le micocoulier-cathédrale abrite de jeunes troncs
protège un peu encore leurs écorces vierges des mains baladeuses
Par les pieds on entend le mumure de ses racines -
elles dansent dans la terre
filent le temps et la géographie du jardin de la reine
le jardin du temps d'avant la révolution
quand on aimait couronner les choses et les gens -
Au coeur de la ville les arbres ont créé leur langue
elle se prénomme sous-bois
Et les citadins cherchent dans les nervures des feuilles mortes
une pierre de rosette
pour entamer le dialogue
- enfin
Voix-arbres que l'on entend lorsqu'on nous ouvre les portes de notre patrimoine
Jardin de la Reine, oublié pendant des décennies au coeur de Montpellier
Journées du Patrimoine, 2017