Sur le bord du trottoir, deux petites filles avec le même haut blanc à col en dentelles, les mêmes colliers de grosses perles et les mêmes nattes noires, regardent les ballons gonflés d'hélium à l'effigie de personnages de dessins animés que tient d'une main molle un homme assis un peu plus loin, sur le même trottoir, dans la même ombre d'un bâtiment décatti aux couleurs d'un rouge fondu et qui regarde, lui, les femmes passer
Je regarde des petites filles qui regardent les ballons d'un homme qui regarde les femmes
Et cette pensée me fait sourire
Un sourire qui glisse le long des colliers des fillettes, qui s'arrondit sur chacune des perles puis qui rebondit sur leur bombé, de souvenir, en souvenir en souvenir
A chaque fois un cadeau
Alors
C'est tout un voyage qui s'étire sur mes lèvres
Au café, on nous a offert une pâtisserie avec un coeur en pâte sur le dessus, et la crème fouettée - la meilleure que j'ai jamais mangée, assez épaisse pour être totalement tenue, assez douce pour fondre dans la bouche en rondeur sous la langue - sur nos cafés au lait d'amande maison
On nous a offert de l'huile d'olive de l'année dans une bouteille en plastique
De la fraîche, de la bonne, de la d'ici
Sur la bouteille, l'étiquette de l'eau gazeuse, dedans le jaune doré des olives pressées à froid
On nous a fait goûter des fromages et des glaces en quantité telle qu'il n'y aurait plus eu besoin d'en manger davantage - si cela était possible
On a partagé avec nous des adresses secrètes de lieux où on va quand on est d'ici, des bistrots où on ne parle même plus tant la langue se régale, des magasins de produits si bons qu'il faut y aller à l'heure de la sieste pour être servi.e sans attendre des heures, des plages où l'on reste jusqu'à ce que le vent et la lune se lèvent tant la mer et belle et transparente
On a croisé un homme né avant les grands changements de ce siècle dont les doigts dansaient sur la paille plus vite que ceux de ses petits-enfants sur des manettes de jeux vidéo, qui tissait avec un savoir faire affiné par les siècles des paniers d'une finesse telle qu'on osait à peine les toucher, des paniers de toutes les formes et de toutes les hauteurs avec des liserés de paille plus foncée sur le dessus, des paniers, surtout, sans plus d'utilité, des paniers de pêche d'avant les larges filets, mais des paniers d'une telle beauté que j'en décorerais mon salon s'il était assez grand
Alors, les mains pleines
On a aligné des Buenasera dans les rues ombragées de petits villages blancs à tous ceux qui avaient sortis les chaises pour se laisser vivre à observer la vie se réveiller après la grosse chaleur
On a passé des soirées à se balader dans les squares, là où les mamies s'installent pour parler dès que les ombres s'allongent, là où les familles se promènent et mangent des pizzas et des beignets fourrés de mozzarella entre 22h et 1h du matin, les enfants dans les poussettes ou sur les balançoires, enfin à l'abri du soleil
On a bu du vin pour laisser danser nos pensées et rêver à rester ici, à vivre la dolce vita toujours recommencée
Martina Franca, jour de fête du saint patron de la ville, été 2017