Note préalable
Les 24 et 25 novembre au soir, j’ai fait une performance à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris dans le cadre de la carte blanche à Oxmo Puccino.
La performance ?
Écrire des portraits imaginaires et instantanés du public à partir d’un ou plusieurs mots puis, sans le corriger, lire le portrait à voix haute et l’offrir.
En 7 à 8 heures sur 2 soirées, j’ai écrit 48 portraits pour environ 75 personnes, tous partis avec leurs destinataires.
Chacun de ces portraits a été écrit en cinq minutes à peu près. Sans relecture. Sans pensée. Et c’est cela que je voulais vous raconter…
Ce qui s'est passé à l'IMA
Le deuxième soir aussi j'ai eu peur
On n'a pas peur qu'une seule fois
Pas possible
Même si la première fois s'est bien passée
Même si 1000 fois avant s'étaient bien passées
Il n'y a pas de même
Il y a le stress
Les idées en pagaille
Les Si qui se bousculent
Et si ça ne marchait plus?
Et si c'était moins bien?
Et si je restais devant ma page blanche?
Et si c'était le trou noir? Le trou blanc?
Il n'y a pas de préparation possible à ça
Il n'y a pas de décision possible
Décider d’écrire une chose ou une autre, tel mot, telle forme
Ici il n'y a pas de place pour le choix
Sauf pour un seul: celui de ne pas en faire
De ne plus en faire
De lâcher prise
J'ai écrit 48 portraits sans penser
C'est vrai
C'est possible
Oui, les connexions neuronales de mon cerveau ont fonctionné
J'ai pu faire des phrases
Assembler des mots
Oui
Mais sans penser
La pensée courant après le stylo, après sa naissance propre
J'ai recueilli les mots qu'on m'a donnés
Et j'ai attendu
Parfois un dixième de seconde
Parfois trente secondes
J'ai attendu d'entendre un début de quelque chose
Et quand c'est venu j'ai commencé à l'écrire
Sans juger
Sans questionner
Jusqu’à ce que ça prenne sens
Avant la soirée mes pensées tremblaient
Et puis avec la première personne et le premier mot devant moi, j'ai disparu de moi, je me suis retirée ailleurs
Pour que les phrases naissent
Je ne crois pas avoir fait jamais quelque chose de plus risqué
Écrire en public en sachant que je ne maîtrisais rien
Puis lire ces textes à voix haute, sans relecture, sans correction,
Puis les donner
Accepter que le sens puisse se perdre, des fautes s'écrire, des blancs se faire
Accepter mon écriture à nu
Telle qu'elle est
Sans filtre possible
La montrer au monde telle quelle
Se montrer soi dans sa fragilité première
S’effacer et effacer son égo devant le texte et son message
Se dévoiler, entièrement
Et accepter de dire le texte ensuite
Et de s'en défaire encore après
Se dévoiler jusqu'au bout du bout du bout
La vérité c'est que je n'ai jamais rien écrit de plus vrai
Que je n'ai jamais autant touché
En écrivant ces portraits de mon écriture nue, j'ai ressenti et vécu de véritables connexions avec celles et ceux qui m'ont donné un mot et attendu que j'écrive
J'ai écrit pour des personnes seules
Pour des enfants
Pour des couples
Des groupes d’ami.e.s, par deux ou par trois
J'ai écrit avec un mot, ou deux, ou trois, ou même quatre
Avec des proverbes, des citations, des expressions
J'ai écrit jusqu'à 2h30 d'affilée sans m'arrêter
J’ai écrit pendant qu’on lisait au-dessus de mon épaule ce que j’étais en train d’écrire, de moi-même découvrir
J'ai écrit pour une fille qui ne serait pas à l'anniversaire de son père et voulait lui offrir un texte en cadeau
J’ai écrit pour des personnes qui avaient patienté plus d’une demi-heure
J’ai écrit un texte pour deux amies dont chacune voulait garder un morceau, un texte coupé en deux et lisible de deux manières : sur chacune de ses extrémités et une fois reconstitué
J’ai écrit mon dernier texte le deuxième soir après 23h30 à partir du mot « mort » et il a tellement plu à son destinataire qu’il est allé s’acheter un cadre le lendemain m’a-t-on dit
J’ai écrit un texte qui a tant touché que son destinataire est revenu le lendemain
J'ai écrit pour un enfant à naître
J'ai écrit pour des gens qui avaient besoin de réconfort
Pour d'autres qui avaient besoin d'un coup de pouce pour faire un choix
Pour d'autres qui cherchaient de l'espoir
J'ai écrit pour des yeux tristes et des regards rieurs
J'ai écrit à partir de "soleil de Sicile", "pachyderme", "pacha", "lumière du matin", "ce qui est sur le coeur est sur la langue" …
Et "gratitude", deux fois
Et "rêve"
J'ai écrit j'ai écrit j'ai écrit
Et des gens ont souri
Et des gens ont pleuré
Et on s'est serrés dans les bras et on s'est embrassés
Jamais je n'avais imaginé toucher autant
Jamais je n'avais pensé moi aussi demander un mouchoir et retenir mes larmes
Jamais je n'aurais pu imaginer
Mais maintenant je sais
Que l'écriture nue n'est pas seulement de l'écriture
L'écriture nue c'est une main tendue d'humain à humain
C'est accepter sa fragilité et s'ouvrir à celle des autres
C'est écouter les messages du monde en silence et les retranscrire, tout simplement
C'est être soi, vraiment
Remerciements
Tout cela n’aurait pas été possible sans l’IMA et Oxmo Puccino que je remercie encore chaleureusement : merci à Oxmo Puccino d’avoir offert sa carte blanche à des jeunes artistes et d’avoir conçu la «Rue de la création», merci à l’IMA (aux organisateurs, équipes techniques et particulièrement à Sarah Ghannam) pour l’accueil et la réalisation, merci au comité d’avoir sélectionné mon projet et de m’avoir invitée à être l’une des participantes de cette « Rue de la création », merci à Hervé pour sa présence et son soutien tout au long de ce week-end, merci aux ami.e.s de passage à qui je n'ai même pas toujours eu le temps de parler, merci aux photographes que je connais ou que je ne connais pas qui ont immortalisé cette performance, et…
MERCI À VOUS qui avez posé et vous êtes montrés, vous avez fait naître l'écriture nue dont je n’ai été que le stylo.
Note - rappel
cette performance a été conçue comme une métaphore du processus de création, chacun des éléments qui la compose et chacune des étapes de cette performance représente donc une des étapes du processus de création. Plus d’infos à ce sujet dans la vidéo postée sur ma page facebook