Les mois d'août de mon enfance
L'été chez mamie c'était comme un bonbon, sûrement aussi parce qu'on en mangeait là-bas, mais c'était pas mamie qui nous les donnait, c'était Nicole, elle en avait toujours des paquets entiers et quand on revenait du tour de l'étang on s'arrêtait chez elle et elle allait ouvrir le placard en bas de son armoire du salon, Vous pouvez choisir! et moi je prenais les mous, ceux qu'il fallait à peine mâcher puis qui fondaient sur la langue, oui, c'était tout pareil l'été chez mamie, quelque chose de mou et de fondant, sûrement aussi à cause de la chaleur, la Lorraine c'est tellement chaud l'été! tellement qu'on n'avait même pas le droit de sortir les après-midis, et on restait tous les quatre alignés devant la télé, dans la cuisine noire, à l'abri derrière les volets fermés, tout fermés sauf les petits traits en pointillés entre les lattes dépliantes, et c'est par ces pointillés-là qu'on y voyait quelque chose, même qu'on y voyait tout, parce que le soleil était si blanc, et c'était ce soleil-là qu'on retrouvait après, quand la chaleur redevenait supportable et qu'on pouvait retourner jouer aux balançoires ou à la cabane, celle que papi avait construite, avec une vraie fenêtre et une vraie porte et même un sol en lino ; quand on était sans les cousins, j'allais à l'avant de la maison, là où un muret de buissons formait une cour, là où on avait sorti le matin même les tables en métal et les chaises en plastique, et je me promenais entre les parasols Coca-Cola et les clients qui buvaient leur fin de journée dans des verres à bière, alors j'avais droit à une boisson moi aussi, sûrement un sirop, je le demandais dans un verre rayé, un jaune ou un rouge, c'était mes préférés, et quand le jour s'en allait on rangeait les tables et les chaises et les parasols et peut-être qu'on allait se promener autour de l'étang dans la fraîcheur réconfortante du soir, même qu'on rentrerait avec les étoiles, et plus tard, quand on serait en pyjama, après le yaourt et la tranche de gâteau, on irait sur le hamac de la terrasse, celle de la chambre de papi et mamie, et mamie nous balancerait tout doucement, et on regarderait les étoiles et la lune, et aussi les étoiles et la lune dans l'étang, au bout du jardin, et les éclairs de l'orage sec des nuits chaudes d'août, des mois d'août de mon enfance.
21/07/2015 - Lake Roosevelt - AZ