Que reste-t-il de moi après chaque roman, à la fin de chaque phrase finale, de chaque mot final, de chaque point final ? 
Fin. 
Et puis plus rien. 
Le saut dans le néant oublié. Retour à la violence de la vie. Plus de filet pour porter mon âme et mon esprit. Le corps qui tombe dans un précipice, retour de sa gravité, de son poids. Qu’y a-t-il en bas ? Et les membres qui s’agitent comme des ailes de plomb.
C’est à chaque fois pareil. Le chemin de l’écriture s’arrête trop brutalement. Pas le temps de s’être préparée. Je fonce droit dans le mur. Cheval aveuglé de corrida. Je porte moi aussi le cavalier qui pose les banderilles. Les mots. Je suis là devant la bête en sang. Je le sens. Toute cette chaleur qui suinte de son corps affaibli. Son souffle. Sa force. Elle va crever. Et moi avec. Les mots qu’on plante à coup de stylo. Tiens ! Prends ça ! Et ça encore !
Je suis aussi le taureau. La toile sur laquelle s’anime les formes. L’être vivant sans lequel n’aurait pas lieu le spectacle. Celui par qui tout doit passer. Par le corps. Marche ou crève. Crève.
Je voudrais, sur les bords de ce précipice infernal, des branches, des buissons, quelque chose à quoi m’agripper, stopper ma chute, au moins la ralentir. Rien. Parois lisses. Peut-être qu’à force de gueuler, de jeter mes membres en tous sens, je vais finir par m’envoler ?
Juste avant de toucher terre, de m’aplanir sur elle, en elle, de me fondre avec elle, un oiseau passe et me recueille.
Il me remonte entre les parois fermées et hostiles.
Il défie les lois de mon corps.
Extraite de ce boyau je redécouvre l’horizon oublié. 
Que mon regard peut loin porter.
L’oiseau file dans une direction nouvelle, encore inconnue, quelque part entre les quatre points cardinaux, en route vers le cinquième.
Nous survolons un chemin. 
Là où il commence, quelques gravillons entre les herbes, il me dépose.
Je ne suis pas tout à fait perdue, je n’ai qu’à suivre la voie.
Et c’est reparti.
Au milieu le cheval. Le taureau.
Au bout le même précipice.
Celui qui se cache derrière le dernier point du dernier mot de la dernière phrase.
L’oiseau sera-t-il toujours là ?

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