On l'a appelé Pim.
Pim parce que c'est ce qu'il disait à chaque fois que Laura tombait.
Et Laura tombait souvent.
Déséquilibre émotionnel en diagnostic. Et c'était bien cela: un effondrement dans les émotions.
Elle marchait sur un fil, Laura, et pim! dans la boue de la peur, et pim! dans les marécages du doute. Remonter sur le fil, c'était ça le plus dur. La force lui manquait, ses bras mous ne la hissaient plus. Il fallait l'aider. Et c'était Pim qui s'y collait.
Trente-cinq ans de vie commune, alors forcément...
A la façon qu'elle avait de tenir sa tasse de café le matin, les doigts resserrés ou détendus, les ongles rongés ou vernis, le poignet solide ou tremblotant, Pim savait.
Les yeux perdus sur le liquide noir, elle tanguait déjà sur les vagues, et il entamait alors un monologue, une corde de mots pour la ramener à lui. Mais la corde s'étiolait, son tissage se desserrait et finissait par gonfler lui aussi le grondement du ressac.
Pim resté sur le rivage agitait ses mains, grandissait ses gestes, tentait d'intercepter son regard, de le remplir, de lui insuffler la lumière perdue. Mais Laura était déjà trop loin du phare.
Alors les mots de Pim devenaient prières et il remontait vers chez lui les poings serrés et la nuque pliée.
Elle reviendrait avec la marée montante, ressassait-il, avec la marée montante...
C'est comme ça que fonctionnent les courants marins: ils ramènent du large ceux qui ont réussi à faire la planche.
Pour Laura ce serait pareil, presque pareil...
La mer remonte toutes les douze heures. Laura on ne savait pas.