J'ai au-dessus de mon bureau une feuille séchée dans un cadre.
Avant, elle était verte. Maintenant je dirais plutôt qu'elle est vert clair, un vert passé de vêtement trop lavé.
Elle est presque ronde, deux côtés égaux autour d'une nervure centrale. Au bout, une pointe, de l'autre, une tige comme une queue d'étoile filante.
Ça fait longtemps qu'elle est là, coincée derrière la plaque de verre d'un cadre bas de gamme acheté étudiante.
Je comprends que ceux qui passent la regarde sans la voir. Une feuille c'est une feuille pensent-ils...
Sauf que ce n'est pas UNE feuille!
Et il était temps que je raconte son histoire.
photo: William Pfeifer - public domain
Il y a des années de ça, dix ans peut-être... douze pour être exacte... j'ai rencontré un moine bouddhiste sur le site sacré de Bodhgaya.
Nord de l'Inde. Saison des pluies. Jour de soleil.
Bodhgaya. Là où se trouve l'arbre de Bouddha, l'arbre sous lequel il a atteint le Nirvana.
Je me souviens de bien peu de choses: d'une allée de dalles brûlées par le soleil, de mes pieds nus brûlés par elles, moi sautillant pour supporter la douleur, de sa tunique orange et de son rire.
Tu n'as pas l'habitude.
Il me l'a dit. Que moi, l'Occidentale, les pieds nus sur les dalles brûlantes, je n'avais pas l'habitude. Ça l'a fait rire. Moi je pensais à mes chaussures.
On a parlé sous le soleil de choses dont je ne me souviens plus. Seule la douleur de la chaleur venue de la pierre m'a marquée. Et son tranquille immobilisme.
Jusqu'à ce qu'il se baisse.
De cela je me souviens précisément: il s'est plié en deux, une main sur sa tunique, une autre tendue vers le sol. Quand il s'est redressé, il tenait une feuille entre ses doigts.
Tiens, prends-la.
C'est une feuille sacrée de l'arbre de Bouddha.
C'est pour que tu racontes, dans le pays d'où tu viens, ce que tu as vu ici.
Avec douze ans de retard je vous le dis: dans le Nord de l'Inde, à Bodhgaya, il y a un moine bouddhiste drapé d'orange qui m'a donné une feuille pour vous, pour que vous sachiez que là-bas se trouve l'arbre sacré, l'arbre sous lequel Siddhartha Gautama est devenu Bouddha.
Cette feuille est aujourd'hui au-dessus de mon bureau et le sera longtemps encore car elle fait partie de ces choses qui me rappellent à quel point il est important de raconter des histoires.