Avertissement:
Ce texte est déposé là tel quel, brut, ni relu ni corrigé. Il est à appréhender comme une expérimentation, une performance, non pas dans le fond mais dans sa forme. Quand je l'ai commencé rien n'était défini. Très vite, j'ai choisi d'écrire le flux de mes pensées durant 24 heures. Un challenge avec moi-même. Finalement, j'ai écrit durant 17 heures: 10 heures d'affilée puis 7, entrecoupées par 7 heures de sommeil.
Ce texte est à lire comme on suit le cheminement des pensées: en partant de n'importe où et en s'arrêtant quand bon nous semble. Comme pour les pensées, il n'a pas pas de tabous.
16 heures – 17 heures
H. est dans l’avion direction le Canada.
Il fait beau à Montpellier mais comme on dit : le fond de l’air est froid.
Oui, je sais, ça ne veut rien dire du tout ça, le fond de l’air. Y a pas de dessus et y a pas de fond à l’air. À moins qu’on observe une tranche d’atmosphère j’imagine, mais c’est pas mon cas. Bref, il fait froid quoi. Faut un petit pull, une veste quand on marche à l’ombre. Tiens, Renaud s’invite. Vive youtube. Je peux l’écouter en écrivant.
La voisine d’en face, celle qui nous a fait déplacer le camion le jour du déménagement, klaxonne depuis son parking. La voisine d’en face, celle dont le salon donne sur le mien mais dont je ne connais pas encore le nom, se penche par la fenêtre en même temps que moi. « T’as d’mandé aux jeunes ? » qu’elle lance à celle qui attend en bas les mains sur les hanches. Remarque-t-elle que je suis en short rose sur le balcon, ou ne le voit-elle pas parce que ma robe courte en laine noire le recouvre ?
Je remarque pour la première fois que la rallonge de la table en bouleau n’est pas vernie. Depuis le bout de la table je vois que ce bout de bois brille moins que le reste. A gauche, quelques pistils de lys. Points rouges presque noirs sur le bois clair. Juste à côté un petit tas blanc. Des bouts d’ongles arrachés hier soir et laissés là. Quand on est seul(e), on se laisse aller. Et alors ? C’est moins pire qu’autre chose, non ? Et puis d’abord, je ne fais pas partie de ces gens qui les conservent dans des boites en verre, étiquetées, soigneusement alignées sur des étagères au salon ou dans la chambre.
J’écris ce qui me passe par la tête pour me calmer. Les questions sans réponses ça commence à me les péter grave. Et je ne vous parle pas des questions existentielles tout-ça-tout-ça. Non. Les autres. Les plus simples. Genre : je fais quoi demain ? Est-ce que ce projet est une bonne idée ? Est-ce que mon mari va bien dans son avion ?
Et si j’écrivais pendant 24 heures ? 24 heures d’écriture. Est-ce possible ? Pour dire quoi ? Oui, parce que je n’écris pas une histoire-là. Je commente le présent. Mon flux de pensées.
Tout de suite je me demande si c’est réaliste. Si je dois sortir, je fais comment ? J’écris sur mon téléphone ? Bon, après je n’ai pas obligation de sortir. C’est ça ma situation actuelle. Tiens, une nouvelle information que google va pouvoir ajouter à son listing. Tu me diras, avec la géolocalisation de mon téléphone et mon activité internet, google il a vite compris. Des zéros et des uns sur des lignes imaginaires. Voilà ma vie. Gna-gna-gna. Ah ! On est français ou ne l’est pas. De toute évidence je le suis. Je râle ! Merde !
Je disais donc, le problème avec ces 24 heures ce sont les pauses. On va me livrer des légumes tout à l’heure. Oui, dans deux heures. Je vais faire quoi ? Et puis d’abord, vais-je seulement tenir deux heures ? N’y-a-t-il pas un moment où le flux se tarit ? Les pensées sont-elles comme les rivières ? Waouw ! LA question philosophique à deux balles ! Bravo ! Et puis de toute façon avec le réchauffement climatique ça ne veut plus rien dire.
Revenons-en à la question de la pause. Elle va être vite évacuée de toute façon. Les toilettes ça ne va pas tarder. La belle affaire me direz-vous ! Eh bien il va falloir vous y habituer. On a 24 heures à tenir ensemble – enfin 23 heures 37. Alors les pudiques, prenez la porte. Le corps on va pas en faire tout un laïus. Il est là. On fait avec.
Youtube a lancé J’temmène au vent de Louise Attaque. Ça fait un bail. Louise Attaque… Ça me rappelle le collège – ou le lycée ? Je sais plus bien. Les dates je m’en fiche un peu. J’ai une mémoire en images et en couleurs. Une mémoire de mouvements. Les dates c’est trop droit – une série de chiffres en noirs. Je ne les lis même pas. Je devrais faire comme Anaïs. Elle, elle voit les chiffres et les lettres en couleurs. Elle s’est rendue compte il y a peu de temps que ce n’était pas « normal », en tout cas, pas commun. (Qu’est-ce que c’est que cette playlist ? C’est passé à « Jeune et con ». Ça s’applique encore à moi ça ? 29 ans et je décide d’écrire tout ce qui me passe par la tête pendant 24 heures tout ça parce que je suis dépitée, dépitée de rencontrer des écrivains qui me donnent envie de retourner bosser dans un bureau… dépitée parce que c’est dur-dur-dur de changer de vie. Jeune et con ! Tu l’as dit !)
J’ai froid aux jambes. La faute au short. Froid est un grand mot. Frais. Je sens l’air environnant sur mes mollets, un début de chair de poule surtout quand mon genou gauche se cale à l’intérieur du genou droit posé sur lui. Peut-être fait-il plus chaud dehors. J’ai fermé les fenêtres tout à l’heure. Ça sentait la fumée. Je n’ai pas vu d’où ça venait.
J’ai rouvert. La température est légèrement plus tiède. La différence c’est la lumière. Elle rebondit sur la pierre claire du petit balcon pour entrer plus encore dans le salon. Les fleurs jaunes du bouquet sur la table prennent du relief.
Un brouhaha monte jusqu’à moi depuis la rue, depuis la place. Les gens attablés au café d’en bas. (Youtube aligne Kyo – je n’aime pas. Regrets qu’H. soit parti avec l’ipod…). C’est pour ça que j’aime habiter au centre-ville. Même seule je suis entourée. Du matin à l’heure du dîner, la place St Roch ne désemplit pas. Ca tchatche ça papote et ça drague. À 18 heures ouvrent les bars de ma rue. Là ça crie rit et ça remplit la nuit. Jusqu’à une heure-deux heures du matin. L’autre soir, j’ai ouvert les fenêtres de la chambre pour avoir plus d’air. Un groupe de jeunes gueulait, assis sur les marches de l’église. Je distinguais une partie de leur groupe en me penchant contre la balustrade. (Louise Attaque dis que Léa n’est pas terroriste ni anti-terroriste. Sûre que Léa elle est d’une autre époque alors. Parce qu’aujourd’hui Léa elle serait anti-terroriste, comme tout le monde ! Sauf les fous, les… les je-sais-pas-quoi d’ailleurs. On ne peut pas catégoriser ceux qui veulent détruire une partie de l’humanité, une partie d’eux-mêmes. Ça rentre dans aucune boite ça. Le Bien. Le Mal. Même le mal ça va pas. Léa elle est pas parisienne, pas présentable, pas jolie… Putain, elle est que chiante cette Léa ? C’est ça les meufs ?) L’autre jour donc, il y a trois semaines déjà ? juste après la rentrée universitaire, un groupe de jeunes traînait donc sur les marches de cette église. J’ai appris ensuite que la police passait toute les nuits à 1 heure pour faire bouger les groupes. C’est un voisin qui me l’a dit. Mais ça doit pas marcher toujours. Ce soir-là je regardais pas tout le temps par la fenêtre. Je voulais pas que les jeunes me voient. Je dis « jeunes », moi aussi je le suis, mais c’est plus pareil… J’ai des draps assortis sur mon lit, une vaisselle que j’ai achetée et qui vient pas d’une grande-tante et puis maintenant même une voiture. Plus dix-huit ans… Bref, depuis derrière mes rideaux j’entends de l’eau. Oh ! juste un filet. Shlou-shlou-shlou. Je pense un bref instant à de la pluie. Puis ça parle de juste en-dessous. Je repasse entre les rideaux verts. (Tryo – oui, je sais, je sais, c’est vieux, c’est youtube, tout ça est venu depuis Renaud, et je change pas, parce que… parce que j’écris ! Tryo raconte qu’un clochard est mort près du canal Saint-Martin, que des civils sont morts à Bagdad, la cause au Jihad, qu’il y a eu un rapport sur le climat : il ne survivrait que les rats… ça date d'hier ou quoi?). Shlou-shlou-shlou. Je me penche donc dans la nuit. Et là, en bas, je vois des fesses. Une fille qui pisse accroupie devant le garage d’en face. Elle est juste cinq mètres sous moi. Elle est bourrée et n’arrête pas de dire à son amie « surveille, hein ? surveille ! ». Je me marre. J’hésite à faire un bruit, leur parler. Elle remonterait son pantalon sans avoir tout à fait fini. Elle aurait la culotte mouillée. Je ne le fais pas. Je ne le fais pas parce que je n’aimerais pas qu’on me le fasse. J’y ai juste pensé. Ça m’a suffi. Je me suis dit – je m’en rappelle très bien – oui, j’ai pensé que je n’avais jamais vu des fesses sous cet angle-là. J’ai donc regardé cette jeune fille pisser juste en bas de chez moi une nuit entre 2 et 3 heures du matin en analysant la forme de ses fesses accroupies depuis le haut. Fallait bien ! Quand on écrit faut observer. Faut pouvoir décrire ensuite.
Y a plus de musique. Je vais mettre Nina Simone. Ain’t got no, I got life. Elle me fend le cœur cette musique. Pour le recoller ensuite. Déjà dans les premières notes de piano, on sent la détresse. Puis la batterie, légère, rythme lent mais certain qui pousse les limites des paroles jusqu’à la reconstruction.
17 heures – 18 heures
Une heure. Déjà. On n’écrit pas tant que ça en une heure. C’est long aussi de reporter des pensées. Ça les défluidifie. Ça les ralentit.
Je ne résiste pas. Mon téléphone a vibré. Deux emails. L’un de viadéo. L’autre de ma banque. Un compte dormant et une offre de parrainage. Que dalle quoi ! Pause. WC oblige. Facebook. C’est ça d’écrire. C’est difficile de rester concentrée. Internet est notre meilleur ami en même temps que notre pire ennemi.
J’ai réinstallé les coussins sur le petit balcon. Je dis « balcon » mais il s’agit en fait d’un balconnet. On peut s’y asseoir dans le sens de la longueur, parallèle aux barreaux. Si on serre les jambes, j’imagine qu’on peut y tenir accroupi, face à l’immeuble d’en face. On peut aussi y installer un tabouret. Mais sûrement pas une table ! On y a mis des coussins. Des vieilleries décolorées qu’on rentre quand même quand menace la pluie. À cette heure-ci j’ai le soleil dans le visage. Je vais peut-être aller chercher ma visière. C’est plus facile pour voir l’écran. Je ne le fais pas pour l’instant parce que j’ai la flemme. Se lever tout ça…
Pourquoi l’humain est fainéant ? On n’est pas dans une société qui nécessite une économie d’énergie pourtant. Assez à manger, assez peu à bouger. Pourquoi on veut en faire le moins possible ? Ce n’est pas génétique, c’est sûr. Culturel ? La culture de la flemme ? L’habitude d’avoir tout à proximité ? Facilement accessible ? Générationnel ? Non. Les parents et les grands-parents qui demandent aux petits d’aller chercher l’assiette oubliée sur le buffet ou les clés dans l’entrée contredisent cette idée. En Occident on ne peut même pas dire que cela provient d’une faculté à apprécier le présent – le fameux Carpe Diem.
J’ai envie de grignoter. Ça me fait toujours ça le vide d’idées. Écrire ses pensées s’en rapproche. Il n’y a pas cette simplicité à écrire, cette dictée magique qui chuchote parfois des phrases toutes faites à mon oreille. En bas, près du banc qui trône devant l’entrée d’un magasin (je n’ai toujours pas compris ce qu’ils vendaient vraiment là-dedans), deux trentenaires se parlent face-à-face. Elle tient à bout de bras un large sachet en papier du magasin justement. Il fait beaucoup de gestes. Ils sont rentrés. Je ne les vois plus. De l’immeuble d’en face, juste en bas, tout près de la porte de garage de tout à l’heure, sont sortis un père et sa fille. Trois ou quatre ans. Une couette sur la tête qui ressemble à un jet d’eau vue d’ici. Un sac rose fluo dans les bras du papa. Deux jeunes femmes s’installent sur le banc. Elles sont habillées en jeans et baskets – streetwear mais classe. L’une porte une veste en haut. Sont-elles sorties du salon de coiffure ? J’ai bien l’impression que le QG des coiffeurs d’en dessous se situe entre leur vitrine et ce banc. Mais je ne les connais pas encore. Il faudra que j’aille leur parler. Le patron est en trentenaire qui porte toujours le même chapeau. Moustache et barbiche noire. On dit qu’il a coiffé Paris. Paris Hilton bien sûr. Il organise avec le magasin qui vend je-ne-sais-quoi une soirée électro samedi soir. Oui. Le coiffeur d'en bas de chez moi organise des soirées électro s’il-vous-plaît. Très hype. Tiens, le nouveau bar a déjà sorti ses mange-debout (invariable celui-là !) et ses chaises hautes. C’est un homme que je vois chauve d’ici qui porte des lunettes rondes et une chemise à carreaux bleus et blancs qui les arrange comme il faut. Le matin, sur la place, deux blacks sortent le mobilier des restaurants. Après ils descendent la rue et resto après resto, ils placent entre les pavés les pieds des tables et des chaises. Je me suis demandée si chaque restaurateur les rémunérait ou si chacun payait pour l’ensemble une fois dans le mois ? A l’heure où ils sont là les rues sont encore vides. Huit heures. Neuf heures. Ça se lève plutôt tard par ici. Maintenant les rayons du soleil cognent contre le coin de la façade avant qu’ils ne s’enfoncent sur le balconnet. Plus besoin de la visière.
Deux couples très chics sont sortis de cette porte cochère d’en face. C’est une porte verte, presque noire et très haute. Elle doit être lourde comme la nôtre. Alors il faut les deux mains pour la pousser. Ils m’ont l’air d’étrangers. Des Allemands je dirais. Quoique. L’un des hommes fait très 16e. Ils se dirigent à droite puis reviennent sur leurs pas et vont vers le bout de la rue, là où sont les tables du bar. Un enfant court droit sur eux. « Salut Norbert ! Salut… » Mais d’ici je n’entends pas leurs noms. Les petits pas résonnent sur la pierre des immeubles. Cette rue c’est un peu notre cour intérieure. Il s’arrête devant la porte verte-noire et sonne. Quand le grésillement de l’ouverture se fait entendre, il la pousse à deux mains. À peine après lui entrent deux femmes et une petites fille tout de rose vêtue sur une trottinette. Elle porte un casque, rose lui aussi, qui lui gonfle la tête. Ah ! Les deux jeunes filles en streetwear s’éloignent ! Elles portent, chacune à une extrémité, un matelas de canapé-lit. Dans ses plis, elles ont déposé quelque chose de noir avec des formes colorées (un tissu ? un sac ? une veste ?). Une femme entre encore dans cet immeuble ! C’est fou ! Un vrai moulin! Je ne me suis jamais aperçue de toutes ces entrées-et-sorties ! Ses cheveux noirs ondulés cascadent sur ses épaules et cachent ses omoplates. C’est ce qu’on voit le mieux d’en haut, les cheveux. Ah ! Elle ressort ! Une petite tête brune coiffée de touffes éparses contre la sienne. Je comprends maintenant ! C’est le bébé que je vois chez nos voisins d’en face lorsqu’ils s’asseyent sur leur balconnet eux aussi. Celui avec lequel ils jouent et qu’ils font rire. Je me disais aussi qu’ils n’avaient pas l’âge pour un nourrisson… Ma voisine inconnue est donc nounou!
Bruit de moteur. J’aperçois le petit camion qui passe sur la place. Les rues datent du Moyen-Âge. Elles sont fines. Je dirais qu’entre le balcon de ma voisine nounou et moi sur le mien, il n’y a que six mètres. C’est pour cela que la ville envoie chaque jour dans le centre, ces petits camions à la taille très italienne pour ramasser les poubelles et laver le macadam.
Une blonde en mini short vient de sortir d’en face avec un meuble blanc rectangulaire sur roulettes. Elle ne peut pas marcher vite pliée à pousser sa future table de nuit. On l’entend s’éloigner. En quelques minutes, sortent encore de cet immeuble foisonnant une femme d’une soixantaine d’années, lunettes et cheveux courts gris puis un étudiant avec un vélo de course. Et voilà trois jeunes qui y entrent ! Un tatouage s’étend sur la nuque dorée d'une des filles. Elle range soigneusement dans une boite en cuir, sa paire de lunettes de soleil au moment de passer le pas de la porte.
18 heures – 19 heures
Le coiffeur vient de lancer sa techno. Fin de journée. Ça fait vibrer le volet bleu-gris contre lequel sont posés mes pieds. Les trois jeunes ressortent. Le mec et la fille au tatouage porte la structure d’un canapé-lit. Pourtant, ce ne sont pas les deux filles du banc, si ? sûrement… À ne pas voir les visages, on se rend moins compte. Je me demande si tous ces gens viennent acheter les meubles de quelqu’un qui déménage ou si ce sont eux qui déménagent. Vu que la fille à la table de nuit est partie par la droite et que le canapé-lit est parti par la gauche, je vote pour les annonces leboncoin. Leboncoin… C’est comme Ikéa. Tout un poème !
Livraison du panier de fruits et légumes. C’est une première. C’est le vendeur qui livre. En t-shirt vert. Ça m’a fait des points. La prochaine fois j’aurais droit à un pélardon ou une boite d’œufs. C’est bon les pélardons ! Des fromages de brebis ronds des Cévennes. Ils tiennent juste dans une paume, même qu’on peut refermer les doigts dessus. Au marché de Calstelnau on a fait la queue une demi-heure (une demi-heure !!!) au stand du vendeur de pélardons. Je ne sais pas si vous vous imaginez mais c’est long ! Et il n’y avait que six personnes devant nous. Le fromager avait des cheveux blancs fins et mi-longs, comme effilochés, un t-shirt blanc avec un slogan anticapitaliste qui ne me revient plus en mémoire, et un visage anguleux, yeux enfoncés, nez aquilin, joues creusées. Quand ça a été notre tour – enfin ! – on s’est retrouvés devant une table de fromages. Tous les mêmes ! Ils étaient rangés par six dans des films de papier blanc si bien qu’on aurait dit une tablée de cylindres. Sur une ardoise qu’il tendait à chacun, se trouvaient toutes les teintes d’une palette de blancs-beiges. Goûtez celui-ci, celui-là, ça vous aimez ? le crémeux alors, et lui ? non ? trop fort ? alors plutôt du frais ? Les mêmes fromages à des âges différents de la vie. Une quinzaine d’âges même ! Après le sixième (âge) je ne pouvais plus. Trop fort. Trop dur. Il me reste donc bien plus qu’une extrémité à explorer. Toute une moitié ! On était repartis avec notre cylindre de six. Deux frais, deux crémeux, deux plus crémeux. Et ils allaient continuer à vivre dans notre frigo, à prendre de l’âge, se fortifier, jusqu’à devenir pour nous immangeables – cela n’est pas arrivé, tous disparus avant !
Il faut ranger les légumes. Deux sachets plastiques (magasin bio aux sacs plastiques, hum…) aux hanses détendues. Je vais en profiter pour me faire une tartine de beurre. Non pas que j’ai vraiment faim. Même si je n’ai rien mangé avant quinze heures que deux pommes – pas le temps. Le beurre ça fait toujours envie. Un bouton d’or à tartiner, c’est jaune ! t’aimes le beurre ! Souvenir d’enfance. Ou peut-être souvenir de souvenirs, comme ces bouteilles de lait en verre déposées par un laitier ou les encriers dans le coin des tables en bois des écoles. Souvenirs d’écrivain ou de réalisateurs. Images d’Épinal. Un jour, ou plutôt une nuit, on a marché dans un coin reculé de Géorgie. Ancienne station thermale de l’époque de l’URSS. Un bâtiment abandonné en haut d’une falaise. Seul un petit établissement avait résisté au temps, blotti entre la rivière et la falaise, une pièce pour les thermes, une autre pour les lits. Quatre filles. On est parties sur le sentier d’un monastère. Herbe rase, quelques arbres. Un vieil homme s’est approché. Celle qui parlait géorgien a traduit : c’est un arbre à soie. Les fruits, comme des mûres mais plus allongées, sont ceux que mangent les vers à soie. L’homme nous a invitées à dîner. Je crois qu’on est d’abord passées au monastère mais je n’en ai plus qu’un très vague souvenir, une image flou d’arcades grises qui pourraient être là-bas ou ailleurs. Sur le retour on s’est arrêtées chez lui. La maison était basse et faites de planches. Sa femme portait sur la tête un tissu à fleurs plié en triangle pour maintenir ses cheveux. Ils nous ont servi le pain chaud, à peine sorti de la poêle noire. Ce pain géorgien qu’on mange goulûment et sans retenue possible. Le fromage. Frais. Genre de fêta froide qui fond sur le pain brûlant. Les olives. Vertes. Pleines de chair. Dont la douce acidité pimente le mélange pain-fromage. Il devait y avoir aussi de la salade, des légumes, des fruits éclairés par les vacillements des bougies. Mais je me rappelle surtout du miel. Miel sur yaourt. Miel de leurs abeilles sur yaourt de leurs vaches. Manger manger et manger encore. Sans faim ni fin. Engourdie par le délire des sens. Par les mélanges de chaleurs, de textures, par le mariage des goûts sauvages. Qu’est-ce qu’on a bu à côté de l’eau de la source ? Il y avait de l’alcool, une boisson forte et engourdissante. On a quitté la maisonnée en tanguant dans l’épaisseur de la nuit. Ils nous ont laissé leur chien – il connaissait le chemin et nous aiderait à passer devant la maison des voisins, à quelques centaines de mètres – ou quelques kilomètres ? On a laissé derrière nous deux carrés de lumière incertaine qui rapetissèrent bientôt, se réduisirent jusqu’à n’être plus, souvenirs d’une tablée de festin – qu’avait-on fêté d’ailleurs d’autre que la joie de vivre ? Le chien trottait devant nous, son pelage noir perdu dans le noir de la nuit. Trotte trotte le chien et courent courent les filles. Les courbes du chemin dansaient sous la lune. Un pied sur la terre, un pied dans les herbes. Le ciel en montagne la nuit révèle le secret de l’immensité. Ça fout une frousse pas possible. À courir derrière le chien on a vite vu deux autres carrés de lumière : les fenêtres du voisin. Déjà son chien nous avait senties. Il aboyait. On ne le voyait pas mais le son rauque et guttural qu’il émettait ne prêtait pas à confusion. Il allait nous bouffer ! On courrait toujours derrière notre guide quand soudain, il a disparu ! Il avait dû rebrousser chemin ! L’aboiement agressif emplissait la nuit, les oreilles, les os et se matérialisait peu à peu en peur.
19 heures – 20 heures
On a vu la route en contrebas. Le chemin nous y aurait menées plus en douceur. Mais il aurait fallu pour cela passer devant la maison gardée par l’autre chien, l’autre chien qui soudain – tout aussi soudainement que l’autre avait disparu – fut devant nous. Mouvement de panique. On a dévalé la pente vers la route. L’une d’entre nous est tombée m’emportant à sa suite. Genou en sang. Coude éraflé. Se relever, vite ! Mains sur les pierres, appuis mal assurés, course essoufflée. Nous voilà sur la route. Le chien a depuis longtemps cessé d’aboyer. Il est d’ailleurs certainement trop loin pour qu’on l’entende encore. Rires nerveux de soulagement. Le « centre thermal » est au bout, là où la route tourne, de l’autre côté du pont, tout contre la rivière. On avait à peine commencé à marcher qu’un vrombissement nous a arrêtées. Deux phares ont balayé notre groupe. Une minute plus tard j’étais allongée dans la remorque, à ciel ouvert, entourée de bonbonnes de lait en métal. Qu’ils sont beaux ces moments de voyage où on échappe au temps, où une série de hasards se transforment, par le fruit de la disponibilité et de l'ouverture, en un sentiment de bonheur irradiant, la certitude que tout est parfait.
Et voilà ! Même pas trois heures et j’ai traîné sur internet. Les mélopées d’Amy Winehouse n’aident pas à la concentration. Des invitations à rêvasser ! L’appartement est plongé dans la pénombre. Je suis maintenant assise à l’intérieur, j’ai rentré deux coussins, l’un est sous mes fesses, l’autre contre mon dos appuyé à la porte-fenêtre fermée. J’écris à la lueur de l’écran. Certainement que ce n’est pas très bon pour les yeux mais j’aime ce moment pour écrire – entre chien et loup. Plus rien n’existe alors que l’écran, que les mots qui s’y inscrivent. Tout le reste a été progressivement gommé jusqu’à disparaitre complètement et c’est cette progressivité qui permet justement cette concentration. Je crois bien que, en dehors des flashs d’inspiration, c’est au moment où la nuit embrasse le jour que je suis la plus productive. Combien de pages du roman ai-je écrit comme ça ? dans un coin d’un appartement, sans lumière ? Oui, je sais bien qu’aujourd’hui ce n’est pas le cas. C’est comme ça !
Les légumes attendent toujours, affaissés dans leurs sachets. J’espère qu’aucun lourd n’écrase un léger. J’ai par contre déjà mangé les tartines de beurre. Pain de campagne. Couteau plat. Crème jaunie et solide à tartiner. Aux États-Unis, j’ai écrit une ode au pain. On en trouvait pourtant… La Californie regorge de Français. Mais la farine n’est pas la même. L’ambiance non plus. Arracher le coude d’une baguette en remontant une rue de centre-ville ou de village français apporte ce petit quelque chose qui fait naître certaines fois à l'étranger ce qu’on appelle le mal du pays. Cette ode au pain était justement dédiée au pain de campagne. Y a-t-il un meilleur pain que celui-ci pour illustrer la cuisine française ? Sa croûte dure, sa mie moelleuse, son acidité sur le palet et sa neutralité. Le pain parfait, pour tout !
20 heures – 21 heures
Je viens de vérifier l’avancée du vol de H. Je suis toujours les avions de ceux qui me sont chers. Surtout ceux de H. On peut voir une petite carte avec sa localisation. Quoique là j’ai pas vu de carte.
Il fait complètement nuit maintenant. Le mur blanc de l’immeuble d’en face est jauni par le lampadaire qui l’éclaire par en-dessous. On voit maintenant tout à fait le salon des voisins, leur longue bibliothèque, l’arrière de leur canapé, et leur télé. Eux doivent entr'apercevoir une forme auréolée par la lumière blanche d’un écran.
Mes doigts et mes mollets sont gelés. Seule l’eau chaude peut me réchauffer.
J'apprécie Google doc. Il faut le dire, c'est pratique. Me voilà donc dans mon bain à continuer à écrire sur mon téléphone. J'avoue, vingt minutes sont passées. On ne peut pas (difficilement en tout cas) écrire sans s'arrêter tout en étant chez soi. Et puis j'ai rangé ces fruits et légumes aussi. 4 pommes. Des golden un peu cabossées. Taches brunes. A manger vite. Des poires. 500g de petites prunes vertes molles. Celles-là aussi, il va falloir les manger vite! Des blettes. Un peu de mâche dans un petit sac en papier brun. 4 ou 5 patates. Autant de tomates et de courgettes. Une tranche de courge. Deux oignons des Cévennes. Les oignons des Cévennes c'est comme les pélardons: bon! Elodie m'a parlé de leurs gâteaux aussi. A la broche! Ça a l'air de quelque chose d'incroyable: de la pâte qu'on fait lentement couler à la louche au-dessus d'une broche en métal mise à tourner au feu. Le résultat est une pyramide de pâte cuite qu'on dirait enrobée de glaçage à force d'accumulation de louchées. Faudra que j'aille voir!
Le téléphone c'est pratique mais cette correction automatique est une vraie plaie! J'ai besoin de davantage de temps pour écrire - déjà que je traîne...
Je m'aperçois que je parle beaucoup de nourriture. C'est ça d'écrire chez soi!
Cette baignoire est en coin. C'est la première fois que j'utilise une telle baignoire (pas aujourd'hui précisément mais depuis que j'habite cet appartement). Le concept me pose question, à moi qui aime tant les bains. Le gain de place est un argument certain pour une pièce angulaire. Quant à l'utilité... Certes, il y a la possibilité d'y entrer à deux. Lors des visites c'est un fait qui nous a été souligné et par les propriétaires (l'un ayant fait un clin d'oeil à l'autre...) et par l'ancienne locataire. Un genre d'argument de vente qui ne nous avait pas effleuré avant qu'on nous le souligne. Et je confirme (pas de chichis entre nous!): on y tient à deux et chacun a de la place pour ses jambes. Mais quand on est seul? C'est là que je ne comprends pas. La baignoire en coin ne permet en effet pas d'allonger ses jambes! C'est dommage, d'autant plus qu'elle a besoin d'autant d'eau - sinon plus! - avec ce coin inutile lorsqu'on y est seul. Je finis toujours par m'y mettre couchée en tailleur. Je suis d'ailleurs couchée en tailleur en ce moment même. Mes genoux, le haut de mes mollets et le bas de mes cuisses ainsi que mes épaules, ma nuque et ma tête émergent hors se l'eau. Ma foi, vous saurez tout! Que voulez-vous que j'y fasse! J'écris ce à quoi je pense!
Le miroir est recouvert d'un film opaque - sauf les 40 cm du bas, pourquoi? parce que la chaleur monte? L'humidité aussi? Hum... Mes cours de physique me paraissent bien loin! C'est comme les maths. Le jour où je me suis souvenue avoir appris "i carré = -1" j'ai eu un moment d'absence, presque de terreur devant la réalisation de l'éphémère des connaissances. Il est certain que cette équation ne relevait pas de mon intérêt principal. J'avais le choix parmi tant d'autres matières et savoirs. N'empêche, je l'ai apprise, je l'ai comprise, je l'ai utilisée, puis je l'ai reléguée à jamais dans une partie de ma mémoire qui doit s'apparenter à un trou noir.
C'est effrayant, en ce sens, le fonctionnement de la mémoire. Les accidentés de la route qui oublient leur alphabet, une partie de leurs souvenirs (proches ou lointains), leur nom... Cela nous réduit à des connexions neuronales, à de la physique, à un calcul, cause=effet, désindivualisation, l'homme-machine en quelque sorte.
21 heures - 22 heures
J'ai déjà sommeil. Habituellement je me couche bien plus tard. L'obligation ennuie peut-être? Obligation? Un bien grand mot! Je prends une décision avec moi-même, personne n'en sait rien, je pourrais arrêter là. J'ai déjà fait 5 heures quand même... 5? Laisse-moi rire! Sur 24? Haha!
L'avion de H. arrive dans une heure. Je n'ai encore jamais été au Canada. Quand j'y pense, j'imagine toujours une immense prairie d'herbes hautes parsemées de fleurs sauvages entourant un lac dans lequel se reflètent les montagnes environnantes, vertes de sapins. En fait je crois que je me fais une représentation mentale de cette photo encadrée dans le salon de chez Billie. Un Canada d'été en tout cas. Ou alors celui de l'hiver. Mais seulement emmitouflée dans des peaux d'animaux. Oui, je sais, la chasse tout ça... mais pour le froid c'est différent! Faut ce qu'il faut. Le traîneau. Les huskys. Le blanc immaculé. Et les peaux qui donnent chaud!
Le froid n'est pas un environnement que j'apprécie. H. aime le froid sec, celui que Thomas Mann décrit dans un passage des Buddenbrook. Celui des jours d'hiver au ciel d'un bleu sans nuages. Celui des jours de grand froid. Revigorant. Vivifiant. Pour d'autres peut-être! Moi le froid me tétanise! A commencer par les extrémités, nez, doigts, orteils. A moins cinq déjà je rentre les pieds jaunes et compacts, sans plus de mobilité des orteils. J'ai appris il y a peu comment s'en occuper: pas d'eau chaude, pas de chauffage! Oh non! Surtout pas! Ou c'est les engelures à coup sûr! De l'eau froide, c'est cela le remède. Elle sera toujours plus chaude que l'extrémité dans sa phase de purgatoire. Ma mère a failli perdre ses orteils au ski. Ça refroidit tout de suite. Ski ou orteils? Moi je choisis le soleil dare-dare!
Mon ventre est recouvert de micro-bulles. Dans l'ombre de mes mains et du téléphone, on distingue mieux leur relief. On dirait une colonie de perles miniatures.
Lorsque j'étais petite, je jouais à un jeu dans le bain qui captait toute mon attention. Je ne sais pas si mes parents l'ont su. Peut-être le cachais-je? Pour jouer, il me fallait un savon. Il s'agissait ensuite tout simplement d'entourer le pain de savon de mes deux mains et de le faire tourner sur lui-même à l'aide de mouvements légers de la paume et des doigts. Ça me revient d'ailleurs! Les doigts devaient être entrelacés. A force de faire tourner et tourner et tourner le savon sur lui-même entre mes mains bien serrées, une mousse (j'ai le souvenir qu'elle était verte) se formait, s'épaississait, jusqu'à (Oh! Bonheur!) glisser dans les fentes entre mes doigts et recouvrir mes mains en entier. Plus cette mousse grandissait, plus le jeu était une réussite. Invariablement, il arrivait que le savon glisse, s'échappe et tombe dans l'eau. Il me fallait alors laisser mes mains aller à l'eau, tâter le fond de la baignoire et récupérer ce savon pour tout recommencer - grand moment de joie que celui de tout perdre, une bêtise assumée qu'on sait qu'on ne devrait pas faire mais qui nous permet de faire durer le plaisir. Un autre de mes jeux (mes jeux d'enfant se résument-ils à la salle de bain?) était de vider la baignoire soigneusement allongée les bras tendus le long du corps puis d'attendre de sécher complètement. Quel processus douloureux! Et à la fois tellement jouissif que de ne pas avoir besoin de s'essuyer! Le plus difficile était le ventre. Longue surface offerte à l'air libre. Peau sensible au contraire des bras et des jambes. On venait me chercher. Encore 5 minutes! Encore 5! Puis je sortais enfin,sèche et satisfaite!
Quel bonheur ensuite que celui d'enfiler le pyjama chauffé sur le radiateur!
Les radiateurs l'hiver. Combien d'heures passées adossée aux grille-pain de mes nombreux (et successifs!) petits appartements parisiens? Peu de chauffage - ça coûtait cher, vie étudiante oblige - mais les quelques heures de fonctionnement étaient rentabilisées pour sûr!
Chauffage appelle cheminée.
Ah! Les feux de cheminée! Les hivers humides de l'Alsace sont tellement plus paisibles à la lueur des bûches en feu!
C'est sûr de sûr! Je ne suis pas faite pour le froid! Feux de cheminée, bains et radiateurs! Observer le froid sans avoir besoin de s'y confronter!
J'ai l'impression de n'avoir plus rien à dire. C'est cela que je pense. Je n'ai plus rien à dire. Peut-être. Mais on n'a jamais plus rien à penser. L'homme est une machine à penser. On tente d'arrêter qu'on ne peut pas. Je serai bien curieuse d'entendre les pensées d'une personne atteinte d'Alzheimer. Serait-ce le silence? Un genre de méditation permanente? Ça m'étonnerait. On serait peut-être au contraire étonnés par la diversité et la foisonnance de leur discours pensif. Si ça se trouve un Alzheimer pense encore plus que nous! Un film d'enfance peut-être? une reconstruction de réalité incohérente? une dernière ancre d'humanité dans une mer d'oubli?
Une minute de ce fil de pensées pourrait ressemble à ça: campagne, champs, paysages d'hiver, gel sur la terre, étés plus lumineux, blés hauts, pain, pingouins, zoo, je portais une robe bleue, Jacques tenait à la main le journal du dimanche, 1962, calendrier de l'avent, bougie à la vanille, bourbon, le premier jour où j'ai pris l'avion, cigarette sur cigarette, pas de collier de fleurs, carte postale, écriture au stylo plume, pot d'encre, les tas de buvards pour les enfants... mais le nom des enfants ne revient pas bien sûr, ni celui du mari ou de la femme. C'est comme ça. Les pesticides qu'ils disent.
22 heures - 23 heures
L'avion de H. a atterri. C'est le site de l'aéroport qui le dit. Soulagement.
Ça fait combien de temps que je suis dans ce bain? - oui, j'y suis encore. J'ai changé l'eau qui avait refroidi. J'aimerais regarder un film mais je n'ai pas de lecteur DVD. L'ordi avec lecteur est parti avec l'ipod et vient d'atterrir au Canada lui aussi. J'aimerais revoir "la fille sur le pont". Ça fait des années que je ne l'ai pas vu. Qu'est-ce que j'aime ce film! Cette histoire d'amour sensuelle à souhait sans un seul baiser! Cette scène de lancer de couteau qui s'apparente à une scène de sexe. Ce noir et blanc qui souligne encore davantage le choix de ces environnements magiques - le cirque, le navire, un train... Deux perdus qui se trouvent. J'aime moins la fin. Superposition de saynètes sans plus de lien véritable entre elles. Mais si je le revoyais j'y verrais peut-être une métaphore de la distance qui s'est installée entre lui et elle, ou alors en chacun d'eux depuis qu'ils se sont à nouveau perdus - je dis à nouveau puisqu'il est clair qu'ils auraient toujours dû être ensemble.
Tiens, la poste va venir chercher les colis dans nos boîtes aux lettres maintenant! J'ai encore traîné sur le site de Rue89, et alors? Ça m'apprend plein de choses. Après je peux briller en soirée. Et puis j'ai pas la télé alors j'ai le droit, nah!
Ma colle phare du moment c'est: combien y a-t-il de panneaux stop dans tout Paris? Cherchez, vous verrez! C'est étonnant!
Mais rien à voir avec Rue89 pour le coup. C'était dans un quizz à la con aux US. Genre: tout ce que vous ne savez pas sur Paris! On me l'avait envoyé pour me demander si c'était vrai. Tout me semblait faux. J'ai vérifié les données une par une. Elles étaient toutes vraies.
Je fais parfois les quizz facebook. Comme tout le monde j'imagine. Mais je ne les partage pas après. Ça fait con quand même: quel est le meilleur métier pour toi? avec quel signe astrologique t'entends-tu le mieux? combien d'enfants auras-tu? Oui... j'ai fait des tests comme ça. Puis vite j'ai refermé la page. Oui, même à moi ça me fait mal.
Je devrais sortir de ce bain... Là vous vous dites: mais elle y est encore? Oui.
Là je parle à un autre. J'ai donc décidé (mais sans l'écrire encore alors que je suis censée relater mes pensées...) que je partagerai ce texte. Non pas comme un texte littéraire mais comme une performance. Si je tiens 24 heures - ou même 12 parce que là je me dis que 12 c'est déjà pas mal - on pourra parler de performance. Tout cela au départ a été motivé par une sensation de dépit. Certains jours cette impression de ne plus savoir ce qu'il faut choisir. J'ai alors pensé que s'il y a bien une chose que je sais, c'est que j'aime écrire. J'allais alors écrire pendant 24 heures. Après je réfléchirai à nouveau à tout ce qui manque de réponses et je trouverai des solutions. Sur le coup, quand ça ne fonctionne pas comme on veut, faut pas forcer.
Je pourrais aller me faire à manger. Je n'ai pas vraiment faim (la cause au beurre et à son accompagnement de pain de campagne) mais mon estomac se fait sentir - comme s'il gratouillait d'un doigt la peau sur lui, le dessous de celle que je vois.
Mais faire à manger implique de sortir de l'eau et donc de bouger dans l'eau et, puisque celle-ci a refroidi, ses ondulations sur le corps sont déplaisantes.
Comme ces considérations sont futiles! Si j'habitais au Liban, en RDC, aux Philippines (je ne parle même pas de l'Irak ou de la Syrie!), et si j'avais 24 heures devant moi, je dirais quoi? Il est certain que concentré sur un écran on n'est pas dans l'action, il ne peut donc pas se passer beaucoup de choses. Tout de même, l'environnement joue un rôle essentiel. J'ai un toit sur ma tête (et même une baignoire de coin qui me pose question rappelons-le!), je vis dans un pays en paix (ne venez pas m'emmerder avec vos hochements de tête rapport au terrorisme tout ça! Les seules fois où j'entends une sirène dans ce pays c'est le mercredi midi - et je touche du bois pour que ça dure et dure et dure!), je mange plus qu'à ma faim (rapport à mon panier de fruits et légumes et au beurre). Bref, mis à part qu'un immeuble de la rue parallèle a pris feu il y a deux nuits (je dormais, c'est un voisin qui me l'a dit) je n'ai pas d'événements extérieurs indésirables à raconter. Et c'est tant mieux!
23 heures - minuit
Me voilà en pyjama. Le confort c'est important pour l'écriture!
J'ai ouvert la porte-fenêtre de la chambre et l'air qui passe à travers les rideaux est frais. Il assèchera la salle de bain. Le coin d'un livre touchait le carrelage dégoulinant d'humidité. Il a pris l'eau par infiltration. Avec la fenêtre ouverte les voix entrent largement dans la chambre mais aucun mot ne parvient jusqu'à moi. Seul un brouhaha enveloppant monte la rue puis les étages. Ça fait comme la télé: ça endort!
Je suis curieuse de savoir jusqu'à quand je vais tenir. N'empêche, ça fait déjà 7h30! Incroyable! Le temps passe plutôt vite à écrire ce à quoi on pense, ce qui se passe et ce qu'on voit. J'ai refermé la fenêtre ou il fera trop froid. Mes mollets tiraillent. C'est le yoga de ce matin. Des postures de souplesse qui m'ont donné envie de faire la "child pose" (celle du repos, en gros) toutes les deux minutes ou de quitter le cours en rat. Je n'ai fait ni l'un ni l'autre. Et j'ai mal aux mollets.
Quand la fenêtre est fermée je suis coupée du dehors - merci le double vitrage. Mais j'aime bien aussi toutes ces voix, cette vie qui déborde par vagues jusque dans les appartements. J'avoue, quand un groupe de mecs bourrés chantent joyeux anniversaire à tue-tête sur le coup des quatre heures j'aime moins la vague tout d'un coup.
Par terre le magazine de la ville que j'ai commencé à lire hier soir. Les événements se déroulent dans des lieux dont les noms ne m'évoquent rien. Juvignac. Jacou. A côté de chaque encadré il y avait une petite carte de l'agglo en lignes noires (dont les frontières ne m'évoquent rien de plus que les noms d'ailleurs) et en plus foncé le lieu concerné.
Quelle idée de déménager si souvent. Avant, ça semble être une bien bonne idée. Pendant, on a envie de s'asseoir là, n'importe où, et de ne plus bouger. Après, ben y a le début... Et c'est là qu'il faut donner toute l'énergie qu'on a perdu dans le déménagement lui-même. Pour apprendre à connaître la ville. Rencontrer des gens, tout ça.
Demain, si j'ai tenu la nuit - et ceci relèverait du miracle parce que je n'ai jamais - JAMAIS! fait une nuit blanche, une vraie. A chaque fois je me suis couchée à six ou sept heures et ai ensuite dormi tout mon soûl! Demain donc, si je suis restée éveillée, j'irai m'acheter un pain au chocolat dans cette boulangerie qui cuit son pain dans un four à l'ancienne. On m'a dit qu'ils le chauffaient au gaz la semaine et au bois le week-end. Le bois pour le four à pain c'est pas comme pour les pizzas. Ça n'apporte rien au goût. Et puis c'est plus long à chauffer paraît-il.
Je pourrais me faire une soupe au chou-fleur. Ça prend du temps à faire? Je n'en ai jamais fait je crois.
Ça m'a l'air plutôt simple. Marmiton m'informe que quinze minutes de préparation sont suffisantes. En 7 heures j'ai mentionné YouTube, Google, Facebook, un appareil Apple et maintenant Marmiton. Je suis bien le fruit de mon époque, que voulez-vous.
Je la sens bien là, la soupe un chou-fleur pour affronter la nuit.
Pour le roman j'ai fait quelques recherches sur le chou-fleur. Rapport aux saisons tout ça. Et ça pousse toute l'année les choux-fleurs! J'ai aussi d'ailleurs fait des recherches sur les armes, la DDASS et la vie des poules, entre autres choses. Je ne sais plus exactement pourquoi mais je me suis également retrouvée sur un site de survivalistes et d'autres assimilés. Puis je me questionnée sur le fait que je faisais tout ça depuis les US et que mon profil internet ne devait plus être très bon. J'ai même imaginé que des mecs en cagoules noires défonceraient ma porte pour fouiller mon appartement. Ils ne sont jamais venus.
Minuit - 1 heure
Pas de nouvelles de H. Ça commence à être bizarre.
C'est l'heure de la soupe.
J'ai coupé l'oignon des Cévennes en deux et encore en deux et en plus petits bouts et les ai faits revenir dans du beurre. Je ne le fais jamais d'habitude. Au beurre je veux dire. Mais c'était dans la recette. De l'ajouter à la fin en fait. Mais faire revenir les oignons donne tellement plus de goût!
Ensuite j'y ai ajouté un bouillon-cube, 3 patates et le petit chou-fleur. J'ai gardé ses feuilles. Google a dit que ça pouvait servir à des soupes. J'en ferai une autre avec. J'y ajouterais sûrement les navets et les blettes.
Parler bouffe maintiens éveillée. Je commence à fatiguer tout de même. Mes yeux veulent se fermer. Mes narines restent alertes. Odeur de choux et d'épices. C'est le curcuma ça. Tiens, je vais peut-être rajouter quelques herbes en sus. J'avais rien d'autre que les fines, d'herbe, ce sera toujours ça.
Je suis maintenant installée au bar de la cuisine. J'ai fermé la porte à clé de l'intérieur sinon elle ne tient pas fermée et je ne l'aime pas ouverte dans mon dos. C'est une vieille porte, d'époque comme on dit, sauf que je ne sais pas laquelle. Du coup elle ne ferme plus vraiment. Une porte décorative quoi. Oui c'est ça. Dans mon appartement j'ai une porte décorative. Devant moi deux coquetiers servant de vase. Quand la tige des fleurs ploie, souvent parce qu'elle pourrit déjà, je les coupe à ras de la collerette et je les place dans des coquetiers, des verres ou des bols sur ses étagères ou des coins de tables. C'est joli.
C'est drôle. Je me dis que ce texte me décrit presque en femme au foyer. Je m'occupe des vases et de la soupe! Ah oui! Mais en fait non!
Mail de H.
Réassurée.
J'ai ouvert la fenêtre de la cuisine à cause de la buée. De grosses voix grasses résonnent dans la rue. L'alcool est passé par là. Une femme s'égosille en riant: "À bas les filles! À bas les filles!"
J'entends du métal qui racle et d'autres sons, d'empillements. Le bar s'apprête à fermer ses portes. Il va être une heure.
J'aime bien regarder dans la rue la nuit. De part et d'autre elle est décorée de guirlandes lumineuses. La place surtout est belle la nuit avec ses courts pins parasols penchés au-dessus des tables éclairés par dessous avec des spots.
Je décèle dans les voix des accents. Espagnol je dirais. Il y a beaucoup d'Espagnols ici. C'est pas loin c'est pour ça.
1 heure - 2 heures
La soupe est mixée. J'ai trouvé de la noix de muscade dans le tiroir à épices. Y avait même la petite lime avec. Ok. On ne dit pas lime. Mais là je fatigue. La précédente locataire a oublié de vider le tiroir à épices - ou elle les a laissées, je sais pas.
Les lames de mon mixeur sont tordues. Ça date d'un milk-shake. Il n'a pas supporté les glaçons. Il fait un bruit de moteur en bout de course en plus. Depuis, à chaque fois que je l'utilise je me dis qu'il faudrait que j'essaie de redresser ces lames. Ça fait 4 ans que ça dure.
J'attends que la soupe refroidisse mais je l'ai déjà goûtée. Elle est bonne!
Moins que celle d'Alain hier soir. Mais lui a utilisé un four à infrarouges! Parfaitement! A infrarouges! Avec un plat en verre maintenu en suspension au-dessus d'une plaque qu'on aurait dit en aluminium mais qui vraisemblablement envoyait des rayons. L'ensemble ressemble à un vieux four à micro-onde mais creusé, sans intérieur, avec à la place ce plat maintenu par une structure métallique.
Le frigo faisait un bruit d'enfer. J'ai fermé le tiroir à épices mais ce n'était pas ça. C'était la chocolatière posée dessus. Les vibrations de la machine faisaient ricocher son mélangeur de bois contre les parois du couvercle qui l'entoure. Que les chocolats chauds sont bons à la chocolatière! Soigneusement mélangés, ils deviennent onctueux.
J'ai soupé. C'est le cas de le dire. Une soupe épaisse, légèrement pâteuse, et assaisonnée d'épices. La cuisine est lavée. On n'y voit que du feu. Sauf le sol. Pourquoi les gens s'escriment à choisir du carrelage clair pour les cuisines?
Je pense que cette question à elle seule vaut son pesant de cacahouète. Entre une et deux heures du matin (après l'heure du loup, on l'appelle comment celle-là?) l'important sait prendre place. J'ai même pas bu en plus. Toute seule c'est un peu glauque. De toute façon ce serait bien plus dur de tenir en ayant bu.
Là soudain je me demande ce que je vais faire.
Se lever et préparer quelque chose à manger ou prendre un bain permet de rester éveillé. Mais jusqu'au petit matin, si je reste seule face à l'écran, ça va être plus difficile. Je me suis couchée il faut dire. C'est mieux pour ma nuque plutôt qu'elle soit toujours cassée en deux pour regarder un écran mal placé. La petite lucarne de la chambre est ouverte. Le bar a fermé. Des ricanements et quelques éclats se voix s'épuisent. Un petit groupe d'irréductibles squattent devant la vitrine. Quelqu'un a sifflé! Je crois qu'on les a appelés. Je ne les entends plus. Ah si! mais de très très loin. Je vais refermer cette fenêtre alors. Il ne se passe plus rien dehors!
H. m'a envoyé une photo de la ville depuis un toit - un toit bas, non pas un rooftop sur une tour. On y voit tout le centre ville à l'heure du chien-loup justement. Les gratte-ciel encore visibles à l'oeil nu et déjà éclairés de l'intérieur se découpant sur ce ciel si particulier où le jour fond dans la nuit.
J'ai sommeil.
Je ne veux pas me maintenir éveillée artificiellement.
Après 10 heures d'écriture (10 heures!!!!!) je vais faire un somme.
Je reprendrai à mon réveil.
Dois-je mettre un réveil? (5h, 6h, 7h)
Vais-je me réveiller avec un réveil? Je sais très bien les ignorer.
C'est étrange. Cela fait deux ans (ou un?) que je ressens la sensation physique de la fatigue dans mes joues, leur poids alourdi sur les pommettes.
Mes yeux résistent difficilement à l'apesanteur des paupières.
Je m'endors.
Il est 2 heures
9 heures - 10 heures
Rêves gluants du sommeil qui s'étire. Je suis restée dédoublée une heure entre le moi du rêve et celui qui s'éveille.
La chambre est baignée dans la lumière filtrée par les rideaux vert pomme. Teinte jaunie sur le mur blanc, olive sur le mur olive - vert sur vert, rien ne change. Je vois quelques feuilles à travers la lucarne, petite fenêtre à gauche de la grande. C'est le lierre. Monté sur une structure métallique en forme de fleur et posé sur ce large rebord - renfoncement de la façade - il fait office de rideau. Avant le lierre il y avait une fougère. Plus touffue. Dans un ancien cache-pot de céramique blanc et bleu. J'étais partie quelques jours. A mon retour H. m'annonce qu'il a vu un matin la fougère sans son pot de plastique rouge brique, sans plus de cache-pot. Le lendemain, il n'y avait plus de fougère du tout! J'ai hésité à la remplacer mais la fenêtre d'un voisin donne sur un coin du lit. J'ai choisi le lierre. Un cache-pot noir laissé par la précédente locataire et qu'elle avait longtemps laissé là sans qu'il disparaisse pour empêcher la nidification des pigeons. J'ai bien collé le lierre à la vitre. Chaque matin quand j'ouvre les yeux je vérifie. Il est toujours là. Il n'empêche, le mystère de la fougère reste entier. Depuis la rue on a vérifié. Il n'y a aucun moyen de monter jusqu'ici. La gouttière est à deux mètres sur la droite, à gauche notre balconnet, le tout à 10 mètres du sol sinon plus.
Je n'ai pas pu écrire la nuit. Pas de petit pain du matin dans la boulangerie au four de feu à bois. Ça fera combien d'heures alors si je vais jusqu'à 16? 10 + 7. J'aurais voulu que cela fasse 18 au moins. Le rêve m'a happée. J'étais aux USA avec des amis de là-bas. Mais pas que. J'étais ici aussi sans que ce soit ici. On sonnait à ma porte. Depuis le balcon je voyais s'étendre une ville entière. Loin loin tout en bas, une femme en robe longue me criait de lui ouvrir. Je ne l'entendais pas à vrai dire. Un voisin se faisait transmetteur, répétant à l'une puis l'autre nos propos. Nos balcons étaient installés comme les terrasses agricoles, formant une descente douce vers la rue mais élargissant d'autant la façade du bâtiment et m'éloignant donc de la rue. La femme à la robe était agressive. Elle voulait que je lui ouvre. Elle prétendait avoir habitée là. Qu'elle était là chez elle. Mais je savais qu'elle mentait, qu'elle était un espion - oui, dans mes rêves il y a des espions.
Boulangerie pas boulangerie?
Vraiment, ce flux de pensées est preuve de l'inimportance des questions qui surgissent souvent. Comme si la tête n'était intéressée que par des quêtes inutiles: où va ce passant? que vais-je manger dans deux heures? d'où vient cette tache sur le plaid?
Fameux!
Pourtant c'est ça le flux de pensées. Et puis d'ailleurs celui-ci n'en est pas un puisque le temps d'écrire/de décrire une idée qui m'a traversé la tête un quart de seconde, une minute s'est peut-être écoulée, déviant forcément la pensée d'origine par effet de concentration puis faisant naître d'elle une suite d'autres pensées. Pourquoi telle pensée a-t-elle été sélectionnée pour être reportée ici? Parce qu'elle est arrivée au bon moment? Au moment où j'avais terminé d'écrire une phrase? Oui, je le crois: question de timing.
10 heures - 11 heures
Et quand j'écris, les autres pensées, celles qu'on pourrait appeler parasites car je ne veux pas y prêter attention à ce moment-là, existent-elles encore? Je ne suis pas sûre car j'entends dans ma tête chaque phrase lorsque je l'écris. Par (et j'entends "par") exemple (et j'entends "exemple" et j'entends "j'entends "exemple"...).
Ce texte est une dictée. Je me dicte des phrases qui font sens.
Dans mon entrée ça sent le plat qui mijote. Mais quoi? Ce n'était pas comme ça au début mais maintenant on peut sentir souvent (quotidiennement?) des effluves. Parfois même jusque dans la chambre. Une nuit l'odeur de lentilles m'a réveillée. Et c'était comme si elle venait du sol, comme si elle traversait le parquet. Y a-t-il une cuisine en-dessous?
J'ai quelques questions à élucider quant à cet immeuble. D'abord, il y a mon voisin d'étage. Je peux le voir par cette fenêtre qu'on a dans l'entrée. En face se trouve la sienne. Entre nous, un peu plus bas, la verrière qui forme le puits de lumière de nos voisins du dessous. Ils habitent dans un appartement historique paraît-il, avec de grandes peintures. Juste avant notre emménagement, le voisin du 3e, celui qui habite au-dessus de celui que je peux voir de mon entrée, avait encore le lierre rampant qui encadrait sa fenêtre. Très joli, nous avait-on dit. Épisode cévenol. Le pot est tombé sur la verrière historique-protégéé-et-tout-et-tout. Paf! Gros trou sous les trombes de pluie! Et les voisins du bas qui n'étaient même pas là. Mais tout ça on nous l'a raconté. Je reviens donc à celui d'en face. Même étage. La fenêtre au-dessus de la verrière donne dans son salon. Il a des cheveux bouclés noirs et une barbe épaisse. Trentenaire je dirais. Plusieurs heures par jour une musique - rectification: "musique" entre guillemets - se fracassait sur le puits de lumière et résonnait entre les murs, coulait sous sa porte, tombait dans les escaliers, envahissait les étages (mais maintenant je ne l'entends plus. Est-il ou était-il alors en vacances?) Coups de feu et hurlements. Mon voisin trentenaire pousse le son de ses jeux vidéo aussi fort que le coiffeur sa techno. Au moins on ne s'ennuie pas!
Il y a un squatteur aussi dans l'immeuble. Le proprio nous l'a annoncé en même temps que la boîte aux lettres cassée et le vol aléatoire de courriers lorsqu'on signait le bail. Il m'a montré même. C'est tout en haut. Au dernier étage. Une petite porte donne sur les compteurs électriques. Elle est fermée à clé mais celle-ci est pendue à un clou juste à côté. De l'autre côté: un escalier de pierre en colimaçon, des murs délabrés, les compteurs. En haut, un petite pièce, pas si petite que ça en fait, 12 mètres carrés? Un lit simple défoncé dont le matelas est loin d'être horizontal, une chaise, du bric à brac. On pousse le volet bleu. Il donne sur les toits. Les tuiles ne sont plus positionnées comme il faut, certaines sont sorties de leur niche. Là voilà l'entrée et la sortie du squatteur. Les toits. Et comment il (ou elle d'ailleurs!) y monte, sur les toits? J'ai envie d'aller le/la rencontrer pour le lui demander.
L'armée rouge à débarqué. Le corps, je l'ai dit, est là, faut faire avec. Ça donne envie de rester au lit, au chaud, de ne rien faire, surtout pas affronter quoi que ce soit. Pour ça j'aimerais tant être un homme. Pas de mouvements d'hormones en veux-tu-en-voila, pas de tristesse inexpliquée suivie de pics d'énergie salvateurs, pas de déprime hormonale, pas de de cycles! On ne s'imagine pas mais chaque mois (ou 25 jours ou 45 jours, c'est selon), on passe par toutes ces phases encore et encore, mois après mois, années après années. Et on est censées, de l'extérieur, n'en laisser rien paraître, rester, comme les hommes: les mêmes. Mais nous ne sommes pas les mêmes! Quand ton utérus se déchire et que tes ovaires te lancent, sans parler du dos, le bas du dos, dans le creux des reins, la réunion sur l'analyse du chiffre d'affaire et la définition d'objectifs financiers à court terme tu t'en balances. Même de ton poney (si t'en as un) tu t'en balances. Même de tes gamins peut-être. J'ai le droit d'exagérer. La faute aux hormones d'abord. Tous les jours en allant au bureau faut sourire à Paul. Mais quelques jours dans le mois, la coupe à la brosse de Paul avec son trop-plein de gel sur le dessus, ça te révolte. T'as envie de la lui arracher, sa touffe qui part sur le côté. Les autres jours tu l'aimes beaucoup pourtant, Paul. Tu parles même avec lui de sa nouvelle voiture, de ses vacances et de ce qu'il s'est amené à déjeuner. Et quelques jours dans le mois, tu ne le vois même pas Paul, disparu. Ah franchement! Je m'en passerais! je m'en passerais!
11 heures - midi
Du coup je suis toujours au lit. Chaleur et douleurs lombaires obligent.
Mail de nos amis nouveaux parents. La petit Juju sourit. Pourquoi sourit-on forcément à la vue d'un enfant heureux? Quel est ce mécanisme qui fonctionne même par photo?
J'en sais rien.
Des gouttes se forment dans le coin de mes yeux. La concentration sur l'écran sûrement.
Vide de pensées.
Paresse.
Ça sert à quoi de partager ce texte brut?
Il pourrait comme tant d'autres rester là, se faire oublier dans la liste de mes documents remplis de lettres et d'espaces. Il n'aurait existé que pour moi. Il n'existe que pour moi. Depuis de longues heures.
A cause des écrans j'ai dû aller chez l'ophtalmologiste. Je crois bien que c'était ça, son nom. J'aimais bien y aller. Série d'exercices. Suivre des yeux une petite boule rouge au bout d'un bâton. Lancer le regard jusqu'à la porte. Monter, descendre, tourner les yeux. Ça se travaille, les yeux. Des muscles qui fondent à les laisser trop immobiles, droits sur un écran. C'est vrai qu'ils sont faits pour voir loin, jouer entre la ligne de l'horizon et le proche, se promener sur cette vaste étendue.
L'horizon. J'ai besoin d'un horizon. C'est ce qui me manquait le plus à Paris. Mon regard qui toujours butait sur un mur. Là aussi, le mur voisin n'est pas loin, il est plus proche encore, mais il suffit que je marche jusqu'au Peyrou et alors je vois jusqu'au Pic Saint Loup et encore après. Ou alors je peux rouler 20 minutes et regarder jusqu'à plus soif le plus grand des horizons: la mer. Cela dit, peut-être qu'un horizon de montagnes est un équivalent. Depuis l'Himalaya? Des pics enneigés suivis de pics enneigés jusqu'à perte de vue. C'est un horizon de nature déchaînée. Comme l'océan un jour de tempête. En Bretagne. Ou mieux: sur la route de Big Sur. L'horizon méditerranéen est plus apaisant, couleurs claires presque pastel, douceur de vivre. En Grèce les couleurs sont plus tranchées cela dit. Même à Marseille déjà. La Méditerranée des prolos est différente, pastel. C'est les grandes étendues de sable de Palavas et de la Grande-Motte qui veulent ça.
Faudra que j'aille faire la visite guidée de la Grande-Motte quand même. Ce délire architectural des vacances pour tous.
Elle est belle cette route entre Palavas et la Grande-Motte. De part et d'autre des lacs. Platitude. Bleu lisse tel un drap fraîchement tiré sur un lit. Points roses. Les flamands entrent et sortent leur bec crochu de l'eau qu'ils ne parviennent pas à réveiller de son sommeil. De hautes herbes bordent la route par endroit. Des pêcheurs aux bottes et combis tirent des filets cylindriques sur la terre ferme.
Le plus beau c'était le jour de l'orage. Un ciel tellement gris qu'il en était noir. Les herbes devenues vert fluo par contraste avec la sombritude (j'aime les néologismes) du ciel et celle des lacs, miroirs de l'orage à venir. Sur ce paysage au bord de basculer dans un autre, plus sombre encore, plus menaçant encore, les flamands étaient devenus roses, d'un vrai rose, tranchant, vif. Puis l'orage a éclaté et on a failli s'embourber dans une coulée d'eau. Mais sur le coup, c'était beau.
Midi - 13 heures
Pause.
Courtes vidéos sud-africaines de femmes évoquant le sexe pour les femmes. Projet féministe internet que l'on pourrait transposer partout, même ici. Des générations de femmes portant les mêmes messages ici aussi, sur l'habillement (elle est habillée comme une pute celle-là), le comportement (une petite fille doit être sage, gentille, à l'écoute et attentionnée), le sexe (on a beau faire, des siècles de culture judéo-chrétienne laissent des marques), le viol (c'est sa faute, tu as vu comme elle était habillée, ou autre: ne va pas à la police, ça va te retomber dessus). Il y en aurait des choses à dire ici aussi, dans notre État de droit et d'égalité...
Le droit...
Série de règles pour régir une société.
J'entendais parler des tribus du Grand Nord canadien l'autre jour. Celles du centre du pays. Très peu de construction sociale. Une société faite d'individus (lorsque ces tribus étaient encore nomades). Choix possible dans une société très réduite. Pas besoin d'organisation car pas besoin de travailler les champs. Étendue de glace. Seule nourriture: la chasse aux élans. Pas besoin d'une organisation massive. Liberté individuelle d'aller son chemin. Celle de crever dans son coin aussi.
Bien loin des considérations juridiques de notre société. Bien, bien loin.
Ça serait un endroit où se cacher ça, le Grand Nord. Sauf qu'il faut connaître. Nez à nez avec un ours polaire c'est pas une partie de plaisir - pour l'homme en tout cas.
Ça me rappelle l'attaque de puma cet été. Frontière Californie-Arizona. Un camping pour une fois. Dernier emplacement avant la nature sauvage du mythe fondateur américain. Mais basse cette nature là. Les repousses d'un feu d'il y a 10 ans. Emplacement à l'américaine. Immense. Impression de solitude. Vue magnifique sur une montagne. Feu. Fruits. Bonheur.
Bruits dans les buissons alentours. Un oiseau? un lapin? une biche? La nuit tombe. Noire. Bruit insistant. Froissement de feuilles. Craquements de branches. J'ai même déplacé ma chaise pliante de l'autre côté du feu. Je m'en souviens. Un début de peur, sensation de dérangement, appel de l'instinct. Puis soudain, derrière nous, des pas de course, écrasements de feuilles encore mais rapide cette fois, très rapide. Après un quart de seconde d'hésitation, je me suis levée, d'un bond. La course a cessé. J'ai balayé le noir épais avec la frontale. Un puma était assis derrière notre tente à 10 mètres. Je crois que j'ai tremblé. J'ai bougé le faisceau lumineux (le seul dont nous disposions) vers le sol et j'ai ramassé un bâton et une pierre. Je me souviens m'être sentie vulnérable, avoir pensé à nos ancêtres, ceux qui devaient se défendre avec des pierres et des bâtons. J'ai rebalayé la nuit avec la faible torche. Plus rien. Juste des cris de gorge. L'un à droite, l'autre à gauche. Il y en avait donc deux! On est allés chercher un Rangers. 22h30. Et on en a trouvé un!
Le Rangers ne nous a pas crus. Je le comprends. Moi non plus je ne nous aurais pas crus. Ce devait être un lynx qu'il a dit. Pas la peine de déplacer votre tente. Une attaque de puma n'arrive jamais ici. Vous seriez les premiers. C'est ça qu'il répétait sans cesse. Vous seriez les premiers!
On est retournés à l'emplacement rassurés. Le feu avait repris de l'ampleur. Le silence sa place. Quinze minutes sont passées. Bâtons sur les genoux, pierres à la main. Le bruit est revenu. H. s'avançait vers les buissons avec de grands gestes. Le silence s'installait mais ne durait pas. Puis il a été là. Le puma. De l'autre côté du feu. A 5 mètres. On a remballé la tente à toute allure, l'un debout armé de son bâton et de sa pierre, le faisceau lumineux découpant largement l'obscurité devant lui, l'autre à quatre pattes pour tirer les sardines.
Une semaine plus tard des amis nous ont raconté une attaque de puma survenue dix années plus tôt sur une route pourtant très usitée par les joggueurs et les cyclistes. Un vieux puma s'était perdu là, il a couru après une femme à vélo, il a sauté, l'a chopée au cou et l'a tuée.
C'est seulement là que j'ai compris ce que faisaient ces deux pumas. Encerclement. Attaque. Cou. Mort.
L'un de nous aurait pu y passer.
La nature c'est beau et gentil tout ça tout ça, ça s'applique bien à la forêt française oui, mais pour le reste...
Je suis inactive. C'est normal j'écris. J'ai dormi et écrit pendant les dernières 21 heures!!!!!
21 heures que j'ai commencé ce délire. 7 heures de sommeil. 14 d'écriture!!!
Hallucinant!
Oui, moi même ça m'étonne.
On ne peut pas dire que ce soit fatigant (il m'embête à chaque fois celui-là avec sa version adjectival et celle au participe présent!) d'écrire. Sauf pour les yeux. Si on dort au milieu en plus tout va bien. Ça me donne juste l'impression - déjà prégnante quand on a l'habitude d'écrire - d'être un ermite. Ces rideaux verts sont toujours fermés. J'ai pas envie que les voisins - qui ne sont pas les mêmes de ce côté-là que ceux qui font nounou - me voient dans mon lit. C'est intime quand même. La preuve, j'en parle... bref.
Il va être une heure. Plus que 4!
13 heures - 14 heures
Tiens, je viens de voir que je ne sais quelle autorité américaine vient de faire marche arrière: il n'est plus dangereux pour les bébés de regarder la télévision. La question est plutôt de savoir ce qu'ils regardent. Mais bien sûr!
Autre sujet: une bibliothèque portative (en bref, un meuble à tiroirs sur roulettes avec des tablettes, liseuses et jeux - idealbox), système initialement conçu pour les camps de réfugiés, a été acquise par la ville de Calais. Ça laisse à penser...
Sur ma table de nuit, le livre dédicacé par Iain Levison. "Good luck". La vie se résume donc à ça? De la chance?
Skype avec H.
Me donne envie d'y être aussi. Grands buildings à l'américaine. Café chaud dans une grande cup. Et juste découverte d'un ailleurs. Excitation du voyage. J'aime parler la même langue. Échanges facilités. Meilleure compréhension de la culture, du système de penser.
Sms. J'ai écrit "pédaler dans la choucroute". C'est bien une expression alsacienne ça! Pédaler dans la choucroute! Est-ce qu'on dit pédaler dans l'aligot? pédaler dans le rougaille-saucisse? pédaler dans la pâte à crêpes?
Dégueu les pieds dans la choucroute.
J'aurais pas aimé non plus devoir écraser des grains de raisins pieds nus. Leur peau qui se colle sous la plante des pieds. Les ongles qui deviennent noirs - ou verts. Les petits grains qui se plantent entre les orteils. Non vraiment. Les vendanges à l'ancienne, très peu pour moi. Quoique... sûrement qu'il fait avoir bu d'abord. Ça doit aider. Pour l'entrain.
Terroir français: la vigne. Pour un alcoolique sevré ce doit être joyeux. Tentation permanente. Bordeaux, la Champagne, la Loire et l'Alsace, on élimine de suite! La Bourgogne? Ses vins. Le Jura? Ses vins. Arrière-pays du Sud? Ses vins. Le Nord? Ses bières. L'Ouest? Va t'oublier dans l'hydromel. Sympa.
Tour à vélo sur les bord de la Loire. L'idée me plaît. J'y pense depuis longtemps. Quant à partir véritablement en vélo, je ne sais pas. J'aime le plat à vélo. Le beau temps pas trop chaud. La pluie qui mouille (oh! la belle lapalissade!), que dis-je? qui trempe les cuisses en moins de deux, s'immisce dans le col, remonte les manches, alourdit les cils... Ça me rappelle le tourisme à vélo sur l'île de Skye en Ecosse. Nous à l'abri dans la voiture où nous pouvions faire sécher d'une nuit sur l'autre, étalée sur la banquette arrière, notre tente imbibée d'eau ; d'autres sur leur vélo, au milieu de nulle part, avec comme seule perspective des kilomètres et des kilomètres de pluie. Ces cyclistes agglutinés dans les douches d'un camping où nous étions venus, moyennant paiement, nous laver - eux à attendre que la pluie s'arrête et cette pluie qui ne s'arrêtait pas. Puis une éclaircie. Et la beauté du paysage réduit à néant toutes les envies de faire demi-tour, d'aller se réfugier au soleil.
Je me rappelle d'une école du bout d'une route. Je ne crois pas que c'était sur une île mais je n'en suis plus sûre. Il faisait beau à ce moment-là. On avait roulé le long de prairies sauvages et de vaches highland aux cornes impressionnantes et on avait décidé d'aller jusqu'au phare. La route était défoncée.
14 heures - 15 heures
J'imagine à cause du froid et des pluies. Des nids de poule à contourner. Puis on est arrivés dans ce village et au bout de la route, là où elle se jetait dans la mer. Là, à flanc de colline, une école primaire. J'ai pensé à la vie de ces enfants, à leurs visages fouettés d'embruns à chaque récréation, à ce paysage vu depuis leur banc en classe: la mer.
Quand j'étais en primaire, on est partis en classe de mer. C'était en Bretagne. Dès le premier jour, on a enfilé nos cirés jaunes et nos bottes et deux par deux on a suivi la colonne qui allait vers l'océan disparu, tout là-bas au bout du sable, de l'autre côté des tas d'algues et des mares d'eau salée qui tenaient prisonniers quelques poissons et crustacés. En fin de journée lorsqu'on est remontés vers la ville, le soleil déjà descendait. On nous a fait presser le bas. La marée remontait plus vite qu'on ne l'avait pensé. Et moi je regardais vers la gauche, ce soleil parfait, rond, orange, immense, pendu au-dessus de l'océan. Cette perfection m'a surprise et émerveillée, que le soleil puisse être si parfaitement rond. J'ai voulu m'en souvenir toujours. Alors je l'ai regardé bien en face, bien regardé, pour tout enregistrer, toujours. Et j'ai fermé mes paupières, comme la lentille de l'appareil photo. Et dans mon coeur, je garde encore ce coucher de soleil merveilleux qui veillait sur une colonne d'enfants en cirés.
Depuis, j'aime utiliser mes yeux à la manière d'un appareil photo. J'aime aussi beaucoup prendre des photos. Mais parfois je décide que ce moment-là ne sera rien qu'à moi, un souvenir que je pourrais appeler à ma mémoire quand bon me semblera et que je porterais toujours avec moi.
Parce que les photos c'est différent. On sait qu'on les a alors on oublie ce qu'on a vu. Ou alors on n'a même pas vraiment regardé parce qu'on a fait que regarder à travers un objectif.
Il y des années, on est parti 6 semaines au Brésil avec H. J'étais alors dans le refus total de la photo. On est partis avec deux jetables (c'était avant qu'on ait des smartphones). 50 photos du Brésil. Une par jour. C'est tout. C'est l'un des voyages dont je me souviens le mieux.
Levée, rincée, habillée.
Dans le miroir j'ai vu mon visage. Les traits sont tirés, les cheveux sans forme.
Rideaux ouverts.
Journée sans soleil. Air humide.
Plat au four. Légumes de l'avant-veille.
Reste une heure quinze.
Me paraît long.
Tiens, un rayon de soleil se réverbère sur la fenêtre et allonge sur le parquet deux rectangles de lumière, deux calques des vitres.
Du dehors proviennent des sons: assiettes qu'on superpose, crochets de volets qu'on actionne, porte qu'on pousse, talons sur pavés, voix lointaines.
Un bruissement aussi. Comme un ventilateur de brousse. Ah! C'est le four!
Au-dessus de moi, du canapé, un tableau de Georges Braque en poster. Un oiseau noir issu du rose va vers un oiseau blanc sorti du jaune. Ils vont se foncer dedans. C'est sûr. J'ai pensé ça l'autre jour. Et aussi que l'oiseau noir c'était la mort du peintre qui arrivait sur lui. Mais le tableau date de 3 ans avant qu'il ne passe l'arme à gauche. Ça n'est peut-être pas ça après tout. Il l'a pudiquement (ou évidemment, ou paresseusement, comme vous voudrez) nommé "l'oiseau noir et l'oiseau blanc". Ça laisse libre cours à l'interprétation. Et derrière c'est gris. Des aplats empruntés à une large palette de grisaille.
15 heures - 16 heures
Plus qu'une heure!
Quelques voix stridentes d'enfants. Bientôt l'heure de la sortie d'école. La même heure que quand j'ai commencé hier. Mes joues tirent vers le bas. Mes yeux ont du mal à distinguer clairement le mur de l'immeuble d'en face. Les contours de sa gouttière restent légèrement flous.
Un rayon de soleil s'est perdu dans la bouteille en verre vert sur le bar. Ses réfractions en faisceaux multiples forment une figure géométrique: tous se rejoignent sur le bar en un seul point à 3 cm de la bouteille puis se séparent à nouveau. On ne peut pas regarder longtemps le point de leur rencontre. La lumière est trop vive.
On dirait un faisceau magique de dessin animé. Celui qu'une fée ou un super-héros pourrait faire naître. Un nuage est passé. Les réfractions ont disparu.
Les légumes ont trop chauffé. L'huile crisse quand je les sors du plat à l'aide d'une fourchette. Crish-criiiish. Dans le coin vide du plat, un fin film noir s'est formé. Du cramé
Tomates fondantes, oignons sucrés, huile sel et poivre sur la chair tendre des courgettes et des aubergines. Pain (de campagne!) pour saucer.
Je suis exténuée. Sûrement parce que j'arrive à la fin. J'ai envie d'arrêter cette folie!
Sous la surface de la table basse du salon, le Scrabble. A côté, le Monopoly des parcs nationaux américains.
Cling-cling.
C'était la cloche du petit train qui passe au bout de la rue. En trois-quarts d'heure seulement vous aurez vu la ville amis touristes!
Hier des étudiants manifestaient. J'y pense parce que la rue s'anime soudain. Peut-être une nouvelle manif?
Hier donc, des groupes descendaient la rue de la Loge vers la Comédie, habillés comme pour un carnaval. J'ai croisé une Heidi qui rejoignait au pas de course ses camarades déjà plus loin. Un autre groupe suivait, à quelques centaines de mètres, mené celui-là par 5 jeunes filles habillées à la mode Pierrafeu, plusieurs d'entre elles pieds nus pour faire plus réaliste et toutes avec un os dans les cheveux.
Les déguisements ça me rappelle les carnavals - carnavaux (quoi? ça fait 24h! j'invente les mots que je veux!).
Une fois avec Anaïs, déguisée en... en quoi encore? Clown? Pocahontas? Je venais de débarquer à Paris. J'avais 20 ans. Dans le métro le soir personne ne nous a même regardées. J'ai découvert cette nuit-là le pouvoir des grandes villes: le droit à la vie privée dans la masse, aux débordements - un déguisement est bien loin d'un débordement mais c'est le même système: fais ce qu'il te plaira tant que tu ne m'emmerdes pas!
J'ai lu un article très intéressant l'autre jour sur la différence entre Français et Allemands. Kultur vs Natur qui aboutit pour les uns au besoin de démarcation parce que la socialisation passe par la normalisation (je suis français, je dois à longueur de journée entrer dans un moule, je prône mon individualité en ne respectant pas les feux rouges pour traverser la rue), pour les autres au besoin de se conformer aux règles puisqu'elles sont la garantie d'une union, chacun étant par ailleurs plus libre de ses choix (je suis allemand, je respecte les feux piétonniers puisque je peux à longueur de journée exprimer mon individualités et que je veux montrer, par ce geste, que je ne renie pas ma société). Explication d'un penseur contemporain allemand justement. Son nom?
Vingt minutes.
Je vais faire quoi de ce texte?
Je vais faire quoi après ce texte?
Si je le mets sur le blog alors il faut le faire de suite. Tant que c'est chaud. C'est pas relu. C'est du brut. C'est n'importe quoi.
C'est pour ça!
C'est pour la forme. Pas le fond.
17 heures d'écriture en 24 heures.
Au fil de la pensée.
Forcément, ça n'est pas le fond qu'il faut regarder.
Sauf à s'étonner des sujets que la pensée se choisit.
Hier une abeille est entrée dans le salon. Ou avant-hier. Elle restait à un mètre de la fenêtre ouverte mais s'élevait vers le plafond dès qu'elle s'en approchait. Et là-haut elle se cognait contre la vitre qui ne s'ouvre pas.
Le bouquet sur la table s'enfonce dans son vase. Il va falloir lui redonner plus d'élan.
La plante sur la table basse ne se remet pas de son déménagement. Ses feuilles brunissent et se racornissent. C'est moche. Seuls les cactées résistent au temps ici. Dans la jardinière laissée là par la précédente locataire, le géranium a refleuri. Fruit - euh fleurs! - du dernier épisode cévenol.
Dix minutes.
Dix fucking minutes!
Oui, c'est exactement ça que je pense. Dix fucking minutes!
J'ai décidé hier d'écrire parce que rien n'allait plus, parce que les réponses à mes questions m'arrivaient contradictoire.
Écrire est ma solution.
J'ai écrit jusqu'à plus d'yeux, jusqu'à plus de pensées.
J'ai écrit jusqu'à avoir oublié toutes les questions et toutes leurs réponses.
J'ai écrit.
J'aime écrire.
Plus que ça même.
J'ai besoin d'écrire.
Dans mon esprit les mots s'ordonnent, se déplacent, se replacent, se remplacent.
Tout peut être écrit, décrit.
Il n'y a pas de limite autre que celle de la personne qui écrit, son imagination et ses pensées.
C'est un monde en construction permanente où tout peut exister ou mourir ou renaître.
Un rêve, en ce sens qu'il est emprunt de réalité mais l'interprète à sa manière.
Un cliquetis se fait entendre. Une fenêtre s'est ouverte. Un scooter passe. Le bruit de son moteur s'allonge dans la durée. Quelqu'un passe-t-il l'aspirateur? Quel est ce son lointain? Une machine à laver peut-être?
Cinq minutes.
La ville s'éveille enfin.
Bientôt 16 heures.
D'ici une heure la maman passera chercher son bébé chez ma voisine-nounou.
D'ici deux heures le bar sera ouvert.
De nouveaux acheteurs viendront-ils récupérer des meubles dans l'immeuble d'en face?
Demain il faudra que j'aille goûter un pain au chocolat de la boulangerie au four moyenâgeux.
Ça parle anglais dans la rue. Ou bien néerlandais?
A force de ricocher sur les façades, les mots se perdent.
Les ricochets. On m'a appris quand j'étais petite. 8 ans peut-être. Quelqu'un qu'on ne voit plus mais que je garde dans mon coeur. Sur un lac, il m'a appris. Ou bien était-ce sur la mer? Tu te places comme ça, de profil, plie les jambes, plie le bras, voilà, comme ça, montre tes doigts, c'est bien, regarde maintenant, tends le bras d'un coup, regarde! je vais le faire! et le galet a rebondi sur l'eau, une fois, deux fois, trois fois, huit fois, pied de nez aux lois de l'apesanteur.
Il est quatre heures.
Mes mots partent en ricochets hors de mon coeur.
Ça fait fucking 24 heures!!!
Quelques photos en référence au texte, dans l'ordre chronologie s'il vous plait!
Et ma tête, après ces 24 heures!!!